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solument pas eu d’autre objet que de défendre le vrai contre ceux qui voudraient lui substituer le faux, mon intention, même si je me trompe, est irréprochable. Donc en conclusion définitive, mon livre ne peut être un libelle, puisque je n’y dis que des choses vraies et avec le désir de faire triompher le vrai, et puisque je n’y calomnie personne.

— Mais si ce que vous dites est faux ?

— Dans ce cas Mgr je serais bien coupable ! Mais comme je suis sûr, ce qui s’appelle sûr, d’avoir dit à peine le quart de la vérité, le coupable aux yeux de la religion est celui qui m’insulte parceque j’ai dit vrai.

Il reste donc acquis, Mgr que la qualification de libelle appliquée à mon livre ne montre que l’incompétence ou le peu de sincérité de celui qui prononce le mot.

Mais, Mgr il surgit une autre question entre nous qui n’est pas sans importance, et que V. G. avec ses notions d’omnipotence ecclésiastique, n’aura pas même pris la peine de considérer, le droit de l’individu étant toujours la dernière inquiétude du prêtre, et tous les droits s’évanouissant d’eux-mêmes devant celui de l’Église.

Elle défend d’acheter ou de vendre mon livre. Un libraire même n’a pas le droit de le garder chez lui, et un particulier non plus.

Eh bien, supposons un instant que j’eusse besoin de la vente de ce livre pour vivre avec ma famille ; V. G. croit-elle vraiment qu’un Évêque a le droit de couper ainsi les vivres aux gens et de les réduire peut-être à mendier parcequ’il se sera mis en tête qu’il est criminel devant Dieu de repousser les prétentions du Clergé à la domination temporelle ? Quoi ! si j’étais réduit à vivre de ma plume, ce qui peut m’arriver comme à d’autres, il ne me serait pas permis de vendre un livre sans que la censure ecclésiastique m’accorde l’imprimatur avec le grotesque sérieux que l’on y met ici !  ! Il ne me serait pas permis de vendre un livre où je soutiendrais le principe de la prééminence du corps social sur toute autre autorité dans l’ordre politique !  ! Et si j’avais fait un livre pour soutenir que le pape n’a pas le droit de casser et annuller les actes du pouvoir civil, un Évêque qui ne comprendrait pas son devoir de citoyen d’un pays libre, ou qui s’exagèrerait ses pouvoirs, pourrait défendre aux gens d’acheter mon livre ! Mais, Mgr, sous un régime constitutionnel, cette prétention est tout simplement monstrueuse ! Elle annullerait toute liberté de la presse, de la parole et de la pensée ! V. G. pourrait également défendre au peuple d’acheter les journaux où se publieraient les discours des membres de la Législature qui soutiendraient le même principe que moi ! Elle pourrait défendre au peuple d’aller écouter les discours des membres de la Législature parcequ’ils protesteraient contre l’empiètement du pouvoir ecclésiastique ! Elle pourrait défendre aux membres catholiques qui ne voudraient pas permettre au Pape de contrôler l’état, de publier leurs discours ou même d’ouvrir la bouche dans l’enceinte législative ! Et si un libraire ou un journal voulaient publier ces discours pour faire connaître ses droits au peuple, V. G. pourrait les ruiner tous deux en défendant d’acheter les produits de leur industrie ! La constitution deviendrait donc lettre-morte, et tout en ayant la liberté politique en théorie, nous aurions de fait le despotisme ecclésiastique ! L’Évêque pourrait d’un mot réduire à la mendicité tous les écrivains qui ne voudraient pas se courber sous la férule, et nous aurions un peuple d’enfants de collège qui n’oseraient pas remuer un doigt sans le signe de l’Évêque !

Mais est-ce bien au dix-neuvième siècle que de pareilles prétentions s’expriment ? Quoi ! des millions d’hommes auront péri pour combattre le fanatisme ; des milliers de martyrs auront été brûlés vifs par l’Inquisition pour revendiquer l’indépendance de la pensée humaine, consacrée par notre maître à tous, le Christ ; et tout cela pour qu’un Évêque qui ne comprend que la lettre et point l’esprit