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Ces quatre malheureux, dont trois au moins étaient innocents, dégringolèrent les degrés de la misère.

Quant à moi, j’ignorais, naturellement, ce lamentable résultat de la condamnation. Mais un jour sa femme, rouée de coups, vint à la caserne demander protection. Ce fut ainsi que je reconnus l’homme et ma première impression fut, comme la vôtre, que c’était un drôle bon à coffrer de nouveau. Mais qu’allaient devenir alors la femme et les enfants ? Ces faibles que Quinet traînait à sa suite, qui se trouvaient par la force des choses devoir pâtir de méfaits auxquels ils étaient étrangers, cela me fit hésiter, puis réfléchir. Et j’eus, un soir que j’y songeais, la révélation brusque de la part que j’avais dans toutes ces infortunes. Ah ! si j’avais laissé passer paisiblement l’inoffensif pochard ! si j’avais tempéré la fougue de Servais ! si j’avais, devant le tribunal, relaté les faits avec moins d’esprit de corps, avec plus d’indulgence, avec plus de vérité, oui, avec plus de vérité ! L’ajusteur serait encore à l’atelier, la femme au logis familial, élevant ses mioches avec amour ! Cette perception fut intense, immédiate, comme si l’on eût brusquement déchiré un voile couvrant mes yeux et je m’étonnai d’avoir pu si longtemps ignorer cette simple, cette manifeste évidence. À l’heure présente, je sais que je vous révolte, Monsieur le Président, mais cela me semble si clair, si lumineusement certain, que je croirais manquer à mon devoir si, par égard pour vous, je mettais une réserve à ma conviction.

Cependant, on ne dépouille point ainsi en un jour le lacis de conceptions fausses sur lequel se trama toute votre existence antérieure. Il m’arriva de douter. Je fis alors de