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En est-il qui, après l’audience, se sont enquis du sort des hommes qu’ils avaient jugés, afin de vérifier si la sentence avait été féconde ?

— Mais c’est ridicule tout cela, Frédéric. Nous n’avons, nous, qu’à appliquer la loi. Qu’est-ce que toutes ces jérémiades sentimentales ont à faire avec la justice !

— C’est précisément parce que je comprends bien, Monsieur le Président, qu’elles n’ont rien à faire avec « votre » justice que je m’en vais. Je pars. Je retourne au village. Mes parents m’ont laissé quelques arpents de terre que je vais cultiver. Je ferai pousser le blé qui nourrit les hommes et les fleurs qui les réjouissent. Ainsi, je n’aurai plus de remords. Et quand le dernier soir viendra, je m’endormirai tranquillement ayant conformé mes actes aux idées dont il plut au Seigneur de me faire voir la vérité. Adieu, Monsieur Louvrier et excusez-moi si cette confession complète vous a parfois froissé…

Ils étaient arrivés à cet endroit de la ville d’où l’on découvre les villages industriels d’alentour. Les bâtiments noirs des usines et des charbonnages grondaient de l’activité des machines. Les cheminées apparaissaient comme des vigies dans le brouillard. Le crépuscule d’automne descendait, sur l’agitation humaine, la majestueuse mélancolie des choses qui vont finir. Frédéric Marcinel avait fait un geste large vers les horizons champêtres qu’il évoquait par delà la ville et les fumées.

Puis il tendit la main au Président. Encore que celui-ci fut outré des extravagances qu’il avait dû entendre, le gendarme avait une telle allure de grandeur et de bonté, ainsi silhouetté sur le ciel rouge, qu’il n’osa la refuser. Et ils se séparèrent, pensifs.