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timité et son efficacité. Il faudrait, pour ne pas être conforme, avoir des qualités de vaillance et de combativité qui me manquent et qui manquent à presque tous les magistrats. Ceux qui ont ces dons-là restent au Barreau. Pour innover, quelque peu que ce soit, il faut un effort colossal. Il faut le courage de s’exposer aux critiques envieuses, aux louanges sottes, à l’incompréhension des uns, aux suspicions des autres. Il faut étudier à fond les affaires, discuter dans les délibérés, justifier ses décisions, risquer d’être mal noté au Parquet et à la Cour. Tout cela est bien fait pour effrayer mainte nature placide, éprise de sa tranquillité.

Et puis, d’ailleurs, à quoi bon ? Je ne sais pas si les acquittés du tribunal de Château-Thierry en sont bien enchantés. Car ces acquittements sensationnels ne réussissent qu’à exaspérer les substituts et c’est à la Cour qu’appartient, en définitive, le dernier mot. Voilà pourquoi je cède si souvent, quand Adonis et vous êtes d’accord contre moi. Hier, par exemple, j’étais indigné, au début, à l’idée de condamner à huit jours de prison cette malheureuse qui avait pris, dans un trou de son jardin, un peu de charbon venant affleurer à la surface, de ce charbon concédé à la puissante société houillère dont les travaux avaient dégradé sa petite maison, puis j’ai réfléchi que si nous l’acquittions, elle serait traînée en appel, tandis qu’en la condamnant, la « conditionnelle » mettait ma conscience à l’aise et était probablement plus utile à la prévenue.

— Probablement, interrompit le Président, qui était devenu soucieux. Car, pour savoir si vous avez jugé convenablement, il faudrait suivre cette femme après l’audience, dans la vie. Si vous ne l’estimiez pas coupable,