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réfléchissait, ce point de vue lui semblait de plus en plus important. L’idée nouvelle n’avait point chez lui à vaincre les résistances qu’elle avait rencontrées dans le cerveau du président Louvrier : Jacquard était jeune, sensible et d’intellectualité libre. Il ne s’était point habitué encore à placer au-dessus de toute discussion quelques notions conventionnelles, à considérer l’ordre établi comme sacro-saint, l’organisation actuelle comme nécessaire, la Magistrature comme intangible. Ayant beaucoup d’esprit naturel, il n’avait point l’esprit de corps. Son œil perspicace et observateur voyait dans l’activité judiciaire bien des tares et des imperfections et parfois sa verve caustique se plaisait à souligner les travers de ses collègues et les ridicules des avocats en des plaisanteries fines et nuancées dont les cerveaux lourds des auditeurs n’appréciaient point toujours la grâce complexe. Ses remarques narquoises l’étaient sans méchanceté, car son ironie savait se borner à donner à sa conversation un agréable piquant et son âme était sans fiel. Sous ses dehors railleurs, il cachait un cœur tendre, presque faible. Il n’aimait point punir. Il rendait la justice correctionnelle parce qu’il le fallait bien, qu’il n’y avait aucune raison plausible pour se refuser à faire ce que faisaient les autres magistrats, à participer à une œuvre dont nul, autour de lui, n’avait mis en doute la légitimité et l’utilité. Mais, encore qu’il eût été, comme tant d’autres, dressé par degrés à étouffer en lui ses répugnances et ses scrupules, qu’il se fût accoutumé par des suppléances, par les expériences en petit que sont les audiences de police, condamner lui restait désagréable.

Dans les premiers temps, lorsqu’une instruction d’une