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Président vous a conté mon départ. Il eut les raisons les plus simples. J’ai suivi l’appel de ma conscience. Et j’ai mis ma vie d’accord avec ma foi. L’œuvre de la justice m’a paru douteuse, cruelle, mauvaise. On dit qu’elle est nécessaire ? Je suis un trop pauvre homme pour en décider, mais à mon sens, ce qui fait vivre les hommes, ce n’est pas la vengeance et la haine, mais l’amour…

Et Jacquard, qui avait de la littérature, songea que telle était aussi la conclusion que Tolstoï met dans la bouche de Mikhaïl. Il sollicita de Marcinel d’autres confidences :

— J’aime tout ici, ma pauvre demeure où palpitent tant de souvenirs, les champs vastes où je respire avec liberté, j’aime les bêtes qui disent si naïvement leur dévouement, j’aime les arbres, les plantes, les fleurs. Tout m’enchante. Je n’ai jamais eu autrefois des sentiments de ce genre et une pareille satisfaction intérieure. Que chercher de plus !…

— Mais n’êtes-vous pas seul ? questionna Louvrier.

— Non, Monsieur le Président, fit Marcinel, en baissant la voix comme s’il eût eu quelque pudeur à avouer son bienfait, j’ai recueilli les deux enfants de ce malheureux Quinet et leurs sourires fleurissent ma maison !

Jacquard était un peu déçu. Il s’était imaginé une sorte de visionnaire qui lui apprendrait des choses imprévues, et il trouvait un brave homme modeste et silencieux qui s’effaçait volontairement. Il fit encore une tentative ; il parla des travaux récents, des publications des sociologues, des réformes qui s’élaboraient. Et Marcinel l’écoutait avec déférence, d’un air las et avec une nuance presque insai-