Quand j’ai commencé à réfléchir sur mes faibles connaissances, et sur celles de l’espèce humaine en général, j’ai vu avec étonnement et admiration, que je savais déjà bien des choses vraiment utiles, que beaucoup d’autres en savaient encore infiniment davantage, et que le genre humain, pris en masse, était riche d’une foule de vérités précieuses, auxquelles il devait toutes ses jouissances, et dont le mérite était prouvé même par les inconvéniens qui suivent de l’oubli qu’on n’en fait que trop souvent. Ce sentiment de joie a été bientôt tempéré, et même anéanti, par la réflexion pénible que tant de trésors n’avaient qu’une valeur très-contestée, et que même en mettant à part le goût du paradoxe et de la controverse, il était souvent fort difficile de prouver l’utilité de la vérité, et plus encore de montrer sa certitude, les moyens d’y atteindre, les causes qui nous en écartent, et surtout en quoi bien précisément elle consiste pour nous. Je voyais que nos connaissances se subdivisent en une multitude de branches, qui semblent étrangères les unes aux autres ; que chacune paraît avoir une cause de certitude particulière, une manière d’y arriver qui lui est propre ; que toutes, même les plus exactes
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