Page:Destutt de Tracy - Quels sont les moyens de fonder la morale chez un peuple ?.djvu/23

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Un moraliste démontrera bien à ses auditeurs, ou à ses lecteurs, que s’ils font d’un vil intérêt pécuniaire la base de leur conduite dans le sein de leur famille, ils se privent d’un bonheur intérieur qui leur aurait procuré mille fois plus de douceurs que les richesses qu’ils ambitionnent. Le législateur qui établit l’égalité des partages et l’impossibilité de tester, anéantit d’un trait de plume jusqu’au germe de tout sentiment de rivalité entre les proches, et rend les soins de l’amitié inaccessibles même au soupçon d’être intéressés.

On prouvera aisément qu’un homme, pour être heureux, doit tâcher d’avoir une compagne qui lui convienne et des enfans qui lui ressemblent : mais la seule loi du divorce anéantit les trois quarts des mariages d’intérêt, maintient l’union dans les autres par la possibilité de les rompre, et améliore toutes les éducations par la bonne intelligence des parens.

Un pauvre professeur répétera tous les jours qu’il ne faut se décider que d’après sa raison, qu’elle est le seul guide de l’homme, qu’elle seule suffit à lui faire connaître qu’il a un véritable intérêt à être juste ; il profitera peu. Le législateur cessera de payer aucuns prêtres, et de leur permettre de se mêler en rien des actes civils et de l’enseignement : au bout de dix ans, tout le monde pensera comme le professeur, sans qu’il ait dit un mot.

Un autre s’efforcera de faire voir que les vertus et

    dens ; car réprimer le crime, en diminuer les occasions, et combattre les inclinations vicieuses, sont des effets qui souvent se confondent. C’est souvent le même considéré sous trois aspects différens.