Page:Destutt de Tracy - Quels sont les moyens de fonder la morale chez un peuple ?.djvu/35

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tudes, de soumettre toutes les opinions à son examen, et d’obéir à ses décisions plutôt qu’aux autorités et aux exemples. Assurément on ne peut nier que l’adoption de chacune de ces idées ne soit un pas vers la justice. Aussi les plus violens adversaires de ce système ne l’ont jamais attaqué dans ses bases. Tous, en le déclarant impraticable, sont convenus que c’était une sublime théorie. Ce ne sont donc pas ses principes qui sont opposés à la saine morale. Au contraire. Cependant par quelle fatalité la somme du mal moral est-elle encore plus grande sous le règne des vérités que sous celui des erreurs ? C’est que les troubles intérieurs et extérieurs qui ont accompagné cette grande et subite réformation, ont encore accru les besoins de l’État, et par conséquent les désordres de l’administration, et ont diminué l’action des lois répressives dans le moment où elles étaient le plus nécessaire. Avec ces deux circonstances, la pratique de la morale s’est détériorée, quoique sa théorie se perfectionnât. Rien ne prouve mieux la prodigieuse importance que j’ai donnée à ces deux grandes causes.

Ajoutons, pour notre consolation, que si le mal moral est augmenté, il ne peut être que momentané. N’étant pas une conséquence de nos institutions politiques, étant même contraire à leur esprit, il ne peut subsister long-tems avec elles. Il faut qu’il les renverse, ou qu’elles le subjuguent. Et puisqu’elles ont pu naître, elles doivent avoir de profondes racines. Le mal est toujours le mal ; mais il est bien différent qu’il soit l’effet de l’ordre établi, ou de la difficulté de son établissement. C’est, ce me semble, ce que l’on n’a pas assez distingué, soit qu’on ne l’ait pas voulu, ou qu’on ne l’ait pas su.