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Mon tréal, 27 octobre 1906. -■m Album Univerael (Monde Illustré) No 1174 v®’ Enregistré conformément à l’ucte dee droit* d’auteur LES PIRATES DU GOLFE ST-LAURENT Suit» d’"UN DHAMB AU UAHRADOK," publl» don» |J> Monde lUtutri) Altmm Unirer.rl koman canadien inédit par le Dr Eugène Dick (Suite) 1 Kt c’est sur quoi comptaient bien évidemment ll(,s .leux amis Jean Bec et Jean Brest, que nous ,vj, lignons, vers les dix heures, sur le gaillard d’arrière <lu "Marsouin”, où ils fument leur pi- |K’, "mollement étendus à l’ombre de la brigant inc, à demi-déferlée. A en juger par leur mine béate et la rougeur de"leurs pommettes, ces messieurs ont du faire |IMnue chère au déjeuner et arroser libéralement leur bol alimentaire. Du reste, il n’y a qu’à les écouter pour s’en convaincre. C’est à qui des deux fera avaler la plus ‘‘grosse a son copain. Or, les deux Jean étant à peu près d’égale force à ce jeu-là, il s’en débite de belles, “troun de l’air" !... comme disent les naturels de la t’auncbièrc, à Marseille. C’est Jean Brest qui raconte, pour le monirif et avec quelle verve ! Ausm bien, son camarade de Québec l’a un peu provoqué en lui narrant une histoire bien extraordinaire à lui arrivée deux ans auparavant 11 avait tout simplement “piqué une tête". - oh ! bien involontairement, du reste. — dan la chiite Montmorency, pour aller reparaît re. une demi-heure plus tard, de l’autre côté de l’ile d’Orléans, un peu trempé, mais à cela près aussi dispos qu’au moment de faire ce pion 11 fieu banal. Son seul ennui avait été la dépense d’une allumette pour rallumer sa pipe. De l’air le plus naturel du monde, — quoique dans son for intérieur assez interloqué, — Jean Brest avait murmuré : —Ami Bec, ce n’est qu’une promenade d’écolicr que tu as fait là, et, chez nous, quand 011 veut prendre 1111 bain, on saute comme ça dans des chiite- de quelques centaines de mètres de hauteur, — histoire de se rafraîchir le tempérament. Mais j’ai fait mieux que ça, moi qui te parle. Figure-toi mon bon, qu’un jour, étant à faire la pèche sur les côtes de Norvège, je fus pris, avec trois camarades, dans les spirales du "Maëlstrom.” Tu sais.... le Maëlstrom est un trou sans fond qui aspire la mer avec une force de cent quatre-vingt-dix-huit milliards de tonnes à la seconde... Ça été calculé par un savant de Landerneau, qui est un faubourg de Brest. —Il a bien pu se tromper de quelques gallons, —tout de même... goguenarda Jean Bec. —Je 11e dis pas non, concéda Jean Brest. Mais laisse-moi continuer. Tu vas voir s’il en arrive de ces choses, dans la marine française ! Donc, nous étions dans une chaloupe, commandée par le maître d’équipage du “Héron”, comme s’appelait notre brick, pour lors en panuç près des iles “Loffoden”, sur la côte de Norvège. Iout à coup, pendant que nous cherchions quelque bon gibier à harponner, voilà que sur-R >t de la mer une grosse baleine qui se met à seringuer l’eau par ses évents, jusqu’à la hauteur du grand mât d’un “trois-ponts” de cent vingt canons.... ~ F.n chasse !” commande le maître. — Harpon en mains !” que je m’ordonne à ttoi-niônie, en prenant place à l’avant. Les matelots jouent de l’aviron ; le maître ’eut la barre ; moi, l’oeil et le bras en arrêt, je sucjte le monstre qui vient de plonger. aïs il reparaît à la surface, à une couple de cen‘ P’cds de nous. «Voir le numéro 117a de 1’“ Album Univers «l et le suivant —“Hardi, les gars 1... Nous la tenons, cette fois !” s’écrie le maître d’équipage, en manoeuvrant sa barre de façon à nous faire aborder la baleine par son travers. C’est bientôt fait. Je me lève tout droit et, d’un seul coup, j’enfonce mon harpon jusqu’à le cacher dans les chairs de la coureuse d’aventures. Comme tu le penses bien, mon “neveu”, la grosse maman prend fort mal la chose. Faisant une cabriole terrible, elle baisse le nez, lève la queue et, floc ! la voilà qui replonge, entraînant la corde attachée au harpon. Nous regardions tous la corde glisser avec une vitesse inconcevable sur le plat-bord de notre embarcation, tout en y jetant de l’eau pour l’empêcher de prendre feu, lorsque le maître d’équipage pousse tout à coup un cri de terreur : —“Le Maëlstrom !” Chacun regarde autour de soi. Et chacun blêmit, — je ne veux rien cacher. —“Aux avirons et souquez ferme!” commande le maître, d’une voix blanche. Toutes les mains s’emploient aux rames, pendant que le maître cherche la hache pour couper la corde qui nous relie à la baleine. Cependant, comme il était beau joueur dans ces sortes de duel à la “blague”, il n’en laissa deviner que juste ce qu’il fallait pour ne pas avoir l’air d’un paysan du Danube. —Tu n’exagères pas, au moins?.., observat-il pour la forme. Jean Brest prit un air digne. —Ah! mon “cousin”, dit-il d’un ton pénétré: c’est-à-dire que je cache une bonne moitié des faits pour ne pas t’émotionner le tempérament ! —Merci bien. Mais finis ton histoire. Je grille de savoir comment tu as pu t’y prendre pour te tirer de cette merveilleuse aventure et venir me la raconter ici, dans le golfe Saint-Laurent. —C’est bien simple, ami Jean Bec : je n’ai pas eu à remuer un doigt. C’est la baleine qui a tout fait. —Voyons ça... Le brave cétacé ! —Comme tu dis. Mais je termine... Pendant trois jours et trois nuits... —Comme Jouas, à peu près ! —Oui... comfortablement installés dans lestomac de la baleine, nous filâmes ou plutôt nous tombâmes à travers la terre, entraînés avec une vitesse de boulet de canon dans le trou du Maëlstrom, jusqu’à ce qu’un beau marin. .. Je fus pris, avec trois camarades, dans les spirales du “Maëlstrom" Mais la hache ne se trouve pas de suite et la maudite baleine, faisant aller ses évents comme de plus belle, nous mène droit au gouffre. Les spirales diminuent d’ampleur, tout en augmentant leur vitesse de giration... Nous approchons du centre de cette immense vortex, qui nous aspire comme le piston d’une pompe... Enfin, après deux ou trois spirales de plus en plus petites, parcourues follement sur la déclivité de l’entonnoir liquide, floc ! nous faisons le plongeon dans le trou qui sert de pivot au satané tourbillon... Puis, plus rien : la nuit ! Une chose pourtant nous consolait dans notre infortune —Laquelle, donc ? ne put ici s’empêcher de demander Jean Bec, intéressé malgré lui. —C’est que la maudite baleine, cause de tout ce grabuge, nous accompagnait dans le voyage. —Qu’en sais-tu ? —Je le sais, parbleu, bien : elle nous avala juste au moment où nous étions précipités dans l’entonnoir et nous servit de véhicule. Jean Bec parut légèrement incrédule. —Etait-ce bien le matin ?.... Rappelle tes souvenirs ! interrompit Jean Bec, d’un ton des plus goguênards. —Non : c’était le soir... On dirait, ma parole, que tu sais l’histoire mieux que moi ! —Va toujours, mon vieux. —Donc un beau soir, — puisque tu y tiens ! — la baleine, incommodée sans doute par la fumée de nos pipes (car nous fumions là-dedans comme des Turcs)... —Une vraie cantine, quoi ! —Comme tu dis... Mais laisse-moi donc finir. On ne verra jamais le bout de mon histoire, si tu m’interromps sans cesse. —Je suis muet comme... ta baleine. Donc le brave poisson eut un haut-le-coeur... —Tu l’as deviné. D’un effort puissant de son estomac, il nous rendit... à la lumière, près d’une île déserte, en pleine Océanie. —Parbleu ! aux antipodes du Maëlstrom, qui se trouvent quelque part par là. —Exactement, camarade... Mais qui peut t’avoir si bien renseigné ? —Un marin de Saint-Pierre, à qui pareille aventure est arrivée. 9