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Sur des madriers soutenus par des futailles vides, une paillasse est étendue, dissimulée sous d’épaisses couvertures de laine.

Suzanne Noël, la femme du capitaine Labarou, gît sur ce grabat improvisé.

À quelques pas de là, se vautrant au sein d’un tas de menues branches garnies de leurs feuilles, la Grande-Ourse, à moitié assoupie, fume du mauvais tabac dans un calumet de bois façonné grossièrement.

Après son chant de tout à l’heure, la vieille « squaw » est tombée dans un mutisme abruti dont elle ne sortira que trop tôt.

Éclairant cette chambre à coucher digne des temps préhistoriques, une lampe de fer à mèche fumeuse jette un jour sinistre sur les figures à la Rembrandt qui animent ce sombre tableau.

La lampe est placée sur une saillie du roc, en face de la prisonnière, et n’éclaire que faiblement sa figure marmoréenne.

Depuis au-delà de vingt heures, Suzanne est aux mains de la Grande-Ourse.

On devine la scène qui s’était passée.

La nuit précédente, comme le capitaine Labarou mettait le pied sur le pont du « Vengeur », sa femme tombait entre les mains de la Grande-Ourse, qui n’attendait que son départ pour exécuter son coup.

Un châle, plusieurs fois enroulé autour de sa tête et de ses bras, empêcha la prisonnière de faire la moindre résistance.

Toutefois, le bâillonnement, si vite fût-il exécuté, laissa une seconde à la victime pour lancer dans la nuit calme ce cri d’agonie qui fut entendu du « Vengeur. »

Mais la belle-mère de Wapwi n’était pas, on le sait, une petite maîtresse prête à perdre la tête à la moindre alerte.

Sans s’émouvoir, elle chargea son léger fardeau sur son épaule et prit sa course sous bois, se dirigeant vers l’est, suivie de ses compagnons qui avaient fait le guet aux alentours.