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Page:Dick - Un drame au Labrador, 1897.djvu/32

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je vas périr d’ennui !… La fièvre va me prendre, c’est sûr.

— Mieux vaut la fièvre que la mort !… murmura Gaspard, entre haut et bas.

— Mais je ne vous oblige pas à rester de l’autre côté de la baie, mon jeune ami ! Au contraire, je compte bien vous avoir tous les jours sous les yeux, ne serait-ce que pour vous empêcher de commettre quelque imprudence…

— À la bonne heure ! fit gaiement Arthur. Ainsi, je…

— Vous viendrez si vous le désirez… Mais il faudra vous contenter de regarder faire les autres ou de tenir compagnie à vos nouvelles voisines.

— Oh ! alors la besogne serait bien trop agréable, madame… Il me reste un bras valide, et je saurai bien l’utiliser à votre service.

— Convenu, voisin… approuva Thomas. Nous ne nous séparerons pas pendant la construction de ce château qui doit être l’ornement de cette baie, un peu solitaire avant nous… Et, tenez, pour qu’on ne vous accuse pas de fainéantise, je vous nomme l’architecte de nos travaux. C’est vous qui ferez les plans, et c’est nous qui les exécuterons.

— Bravo ! fit Suzanne gaiement. Pour une fois que ça t’arrive, Thomas, tu parles comme un sage.

— C’est vrai, appuya Mme Noël : Thomas a résolu la difficulté.

— Hem ! toussa le grand garçon avec un sérieux comique, quand je veux m’en donner la peine, je ne suis pas plus bête qu’un autre, allez !

Chacun rit, — moins toutefois l’austère Gaspard, dont un grand pli coupait transversalement le front, devenu soucieux.

Et l’on se leva de table bruyamment.

Comme il se faisait tard et que le crépuscule envahissait la baie, — malgré la longueur du jour à cette époque de l’année, — les deux cousins prirent congé des dames et furent reconduits chez eux dans la même embarcation qui les avait emmenés, le matin.

On se dit : Au revoir ! après être convenus ensemble que la chaloupe des Noël ferait de nouveau, le lendemain matin, la navette à travers la baie, pour venir prendre les charpentiers auxiliaires.

Et, pendant que le bruit cadencé des rames allait s’affaiblissant dans l’ombre du soir, les deux cousins, silencieux, préoccupés, regagnèrent le logis, sans échanger une seule parole.


VIII

COUP D’ŒIL DES DEUX CÔTÉS DE LA BAIE


Si nous nous sommes un peu étendus sur les événements de cette première journée passée en commun par les jeunes membres des deux familles de Kécarpoui, c’est qu’elle sert de jalon pour indiquer la marche future de notre drame.

Il fallait bien mettre en relief cette jolie Suzanne, qui va jouer le