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Page:Dick - Un drame au Labrador, 1897.djvu/73

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petits nuages transparents au travers desquels s’entrevoient des étoiles.

Rien à craindre, par conséquent, des caprices de la mer.

Il est vrai que les chutes de la Kécarpoui font un vacarme inaccoutumé et qu’il passe des souffles intermittents, sur les hauteurs, dans la cime des sapins…

Mais, vers le soir, quand tout se tait dans la nature, le moindre bruit vous a des sonorités si étranges !…

Embarque, embarque donc, matelots et chasseurs !

Les fusils sont déposés avec précaution à l’avant de la chaloupe, les rames mises en place, et vogue la galère vers l’Îlot du Large !

Cette île minuscule, — appelée aussi la Sentinelle, — gît par le travers de l’ouverture de la baie, à quelques encablures en dehors d’une ligne qui passerait par ses deux pointes extrêmes.

À marée basse, c’est une agglomération de rochers, bordés d’une étroite lisière de sable et n’offrant pas plus que quelque deux cents pieds de développement irrégulier.

Mais la marée haute, surtout quand elle est poussée par le vent d’est soufflant en rage de l’entonnoir de Belle-Isle, le recouvre quelque fois de plus de douze pieds d’eau.

Il faut donc profiter du baissant, — comme on dit ici pour reflux, — si l’on veut faire un séjour de quelques heures sur la Sentinelle, dans un but de chasse ou de pêche.

Or, les deux cousins, marins fort expérimentés déjà, ne pouvaient ignorer cette circonstance.

Aussi la lune n’avait-elle pas décrit plus d’un tiers de l’arc de sa course nocturne, lorsqu’ils s’embarquèrent.

La mer pouvait avoir cinq heures de baissant, et l’élévation des astres au-dessus de l’horizon septentrional disait à l’œil entendu qu’il était entre onze heures et minuit.

Il fallait, en temps ordinaire, une bonne demi-heure pour gagner l’îlot.

Cette fois, le trajet se fit en une vingtaine de minutes.

On ne parlait pas. Mais on « nageait » ferme.

Une véritable contrainte refoulait, de la bouche au cerveau, les pensées des rameurs.

Et il y a mille à parier contre un que la même cause agissait chez chacun d’eux.

Donc, à part le claquement cadencé des rames entre les tolets et le bruit grandissant des chutes de la Kécarpoui, aucune parole humaine ne réveillait les échos de la baie solitaire, dont le fond, enveloppé d’ombre, semblait se reculer de cent toises à chaque effort des rameurs.

La belle nuit !

Comme il faisait bon vivre et comme le cœur de ces jeunes gens, dans la primeur de la vingtième année, devait battre librement en cette soirée de septembre, tout embaumée des senteurs balsamiques qu’apportait la brise du nord !

Eh bien, non !