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Page:Dick - Un drame au Labrador, 1897.djvu/76

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— Que le diable emporte le fou ou… la folle qui se démène ainsi dans la nuit, au lieu de dormir honnêtement dans son lit !

— La folle, dis-tu ! fit Arthur avec un haussement d’épaules. Quelle femme se hasarderait sur la grève, au beau milieu de la nuit ?

— Une amoureuse, parbleu !

— Oh ! oh ! la bonne plaisanterie ! Et qu’irait faire une amoureuse, à pareille heure, sur la rive de la Kécarpoui ?

— Des signaux à son amant ! répliqua Gaspard avec une rage concentrée.

Puis il ajouta à mi-voix, comme s’il se fut parlé à lui-même :

— La gueuse ! Malheur à elle ! malheur !…

— Tu es fou et jaloux ! ricana Arthur, en se levant pour mieux entendre un bruit étrange, grandissant, qui semblait venir du fleuve, à l’orient, répercuté par les mille échos de la baie.

C’était la brise de l’est qui s’élevait, — le fameux nordet, — lequel, après s’être reposé vingt-quatre heures, revenait à la charge avec des forces nouvelles.

Gaspard, que cette interruption des éléments avait, fort à propos, empêché de répondre, écouta lui aussi ce souffle fraîchissant de seconde en seconde, et il parut se calmer comme par enchantement.

Un étrange sourire arqua ses minces lèvres et il dit d’un ton dégagé, qui contrastait singulièrement avec sa voix menaçante d’un instant auparavant :

— Une petite brise de nord-est ?… Bravo ! c’est ça qui va nous amener les canards.

Comme si elle n’eût attendu que cette réflexion, une forte volée de palmipèdes parut à quelques encablures vers l’est, faisant retentir les échos de couin ! couin ! assourdissants.

L’instinct du chasseur se réveilla aussitôt chez les deux rivaux, et chacun se tapit dans sa niche.

Cependant, les canards s’étaient abattus avec grand fracas sur la petite baie et se déhanchaient dans un méli-mélo de contremarches pesantes, tout en fouillant le sable de leurs longues et larges mandibules.

Tout à coup, sur un signal : Pan ! pan !!… Pan ! pan !!… quatre coups de feu éclatent dans la nuit.

Que de couin ! couin !… grand saint Hubert !… Et quels bruits d’ailes !!

Une nuée de volatiles s’élève dans les airs, tournoie, s’éloigne un peu, tournoie encore, hésite pendant quelques secondes, puis revient stupidement s’abattre sur la plage abandonnée un instant auparavant.

Les chasseurs alertes avaient eu le temps de descendre de leur embuscade, de ramasser les blessés et les morts et de les jeter dans leur embarcation.

Ils rechargeaient leurs armes.

Puis quatre nouveaux coups des fusils à double canon firent encore déguerpir la volée babillarde, diminuée de plusieurs innocentes victimes, que l’on envoya rejoindre leurs confrères morts, dans la chaloupe.