Telle était l’intensité de sa jalousie !
Il vint pourtant un coup de mer qui lui arracha un cri d’angoisse tardive…
La chaloupe, prise de flanc par une avalanche d’eau, fut soulevée comme une plume au milieu d’une pluie d’embruns fouettée par la rafale et alla s’abattre sur un élément solide, rocher ou sable, où elle demeura immobile.
Gaspard, emporté par dessus bord, s’en fut tomber tête première à quelques pieds de là, ressentit une commotion violente au cerveau et perdit connaissance.
Combien de temps demeura-t-il ainsi privé de sentiment, la face dans le sable et les bras étendus ?
Il aurait été bien empêché de le dire, lorsqu’il reprit ses sens.
Mais comme la nuit semblait moins sombre, Gaspard estima qu’il s’était bien écoulé deux heures depuis le moment où il avait été projeté sur le sol.
Au reste l’horizon blanchissait vaguement, tout là-bas, dans l’est, et la mer, toujours furieuse, battait la grève non loin des côtes.
La marée, — une de ces terribles marées équinoxiales qui gonflent outre mesure les embouchures des fleuves, — avait porté le flot jusqu’aux premiers arbres du pied des falaises.
C’était sur une masse rocheuse à moitié couverte de sable que la chaloupe était venue s’éventrer ; et, chose singulière, la pointe à arêtes vives qui lui avait ouvert le flanc était de nature si résistante, qu’elle demeura sans se rompre dans l’ouverture, immobilisant du coup l’embarcation.
On conçoit comment Gaspard, emporté par son élan, alla « piquer une tête » à quelques pieds de distance et resta presque assommé…
Cependant, voici notre homme qui se ranime.
Il commence par se dresser sur les genoux, en s’aidant de ses deux bras arc-boutés contre le sol.
Mais c’en est assez pour un premier mouvement…
La tête est trop lourde encore… Des étincelles voltigent devant les yeux du blessé… Il va tomber la face contre terre…
Non, pourtant. Le diable, son patron, lui viendra en aide.
La blessure s’est rouverte, et le sang coule abondamment, inondant la figure…
Gaspard sourit…
Et ce sourire, irradiant cette figure sanglante, cette lumière au sein d’une ombre épaisse, a quelque chose d’infernal.
— Quelle mise en scène pour le dénouement du drame !… murmure le sinistre personnage… Après une lutte terrible contre les éléments déchaînés, le survivant arrive chez les parents atterrés, couvert de sang, la tête fendue, trempé comme une loque mise à lessiver. Il s’arrête en face du logis… Sa tête se courbe, ses genoux fléchissent… Il ne peut articuler un mot…
« On accourt… On s’émeut… La mère a un cri : « Et… Arthur ? »