Page:Dick - Un drame au Labrador, 1897.djvu/97

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de suppositions, encore vagues chez Mimie, mais irrévocablement arrêtées dans l’esprit du petit sauvage.

Restauré par quelques aliments pris à la hâte, et stimulé par un petit verre d’eau-de-vie qu’on l’avait forcé d’avaler avant son départ, Wapwi sentait grandir et prendre corps, au plus intime de son être, les doutes qui l’obsédaient depuis quelque temps, depuis le matin, surtout.

Il se rappelait fort bien qu’au sortir de son lourd sommeil de la nuit dernière, il avait vu Gaspard faire de violents efforts, — tout blessé qu’il était, — pour arracher du flanc de la chaloupe la pointe qui avait éventré celle-ci ; et il voulait savoir, pourquoi il était allé cacher si soigneusement ce fragment de rocher tout au pied de la côte, au milieu des fourrés les plus épais…

Évidemment… se disait l’enfant, parce qu’il ne veut pas qu’on sache qu’il a fait naufrage à terre, et non sur l’îlot !

Et, dans ce cas, quelle est la raison pour laquelle il a pris ses mesures pour qu’on ne se doute pas que la chaloupe est arrivée à la côte, en bon ordre ?…

— Oh ! quant à cela, c’était limpide… Ne fallait-il pas montrer à tous les yeux que l’embarcation étant défoncée au moment du départ, les vagues, poussées par la tempête, avaient eu beau jeu pour la balayer et la rouler dans leurs replis mouvants, enlevant Arthur par-dessus bord, tandis que lui, Gaspard, plus robuste, y demeurait cramponné, jusqu’à ce qu’une dernière montagne liquide eût jeté sur le rivage l’épave et le naufragé ?…

Oui, c’était clair comme de l’eau de roche, ce calcul du misérable Gaspard ; et voilà de toute évidence, quel avait été le raisonnement du naufrageur en dégageant son embarcation de cette pointe qui l’avait transpercée et immobilisée, et en soustrayant l’objet révélateur aux regards trop curieux.

Ce point arrêté dans la tête de Wapwi, il ne restait plus qu’à retrouver le fragment de rocher.

Or, l’enfant, curieux et observateur de sa nature, se faisait tort d’aller en quelques minutes, mettre la main dessus.

La sagacité indienne se révèlerait chez lui, et cette recherche ne serait qu’un jeu d’enfant… sauvage.

Voilà ce que Wapwi disait à sa compagne de route, tout en la guidant rapidement sur la grève qui longe la haute falaise.

Au détour d’une saillie de la côte, après une vingtaine de minutes de marche, on se trouva tout à coup en face du lieu de l’échouement.

La chaloupe, remise sur sa quille, gisait éventrée au fond d’une petite anse de sable, limitée du côté ouest par une arête rocheuse qui s’avançait de quelques toises vers la mer.

En quelques enjambées, les deux explorateurs y étaient.

— Attention, tante Mimie ! prononça Wapwi avec la gravité d’un juge d’instruction… Vois d’abord ce trou ou plutôt ce découpage dans le bois comme s’il était fait par un outil tranchant…

— Je vois, dit Mimie… C’est net, et si l’on retrouvait « l’outil, » comme tu dis…