Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 1, Hachette, 1911.djvu/393

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que Dolly, se suspendant autour de lui avec toute sorte de poses gracieuses et des plus séduisantes, l’aida à se boutonner, à se boucler, à se brosser et à entrer dans l’un des habits les plus justes qu’ait jamais faits tailleur en ce monde, c’était bien le plus orgueilleux père de toute l’Angleterre.

« Ah ! la bonne pièce ! dit le serrurier à Mme  Varden, qui était debout à l’admirer les bras croisés (car, après tout, elle était un peu fîère de son martial époux), tandis que Miggs lui tendait le chapeau et le sabre à longueur de bras, comme si elle eût craint que ce dernier ne passât de son chef au travers du corps de quelqu’un ; mais, Doll, ma chère, n’épouse jamais un soldat. »

Dolly ne demanda pas pourquoi, ni ne dit mot ; mais elle baissa bien bas la tête pour attacher le ceinturon.

« Je ne porte jamais cet uniforme, dit l’honnête Gabriel, que je ne pense au pauvre Joe Willet. J’aimais Joe ; il a toujours été mon favori. Pauvre Joe ! … Tudieu, ma fille, ne me serre donc pas si fort ! »

Dolly se mit à rire ; mais ce n’était pas son rire habituel ; c’était le plus étrange petit rire du monde. Et elle pencha la tête encore plus bas.

« Pauvre Joe ! reprit le serrurier en marmottant ces mots entre ses dents ; j’ai toujours regretté qu’il ne fût pas venu me trouver. J’aurais rétabli le bon accord entre eux, s’il était venu. Ah ! le vieux John s’est bien trompé dans sa manière de traiter ce garçon… oh ! oui, fièrement trompé… Aurez-vous bientôt attaché mon ceinturon, ma chère ? »

Il fallait que ce ceinturon fût mal fait ! il venait encore de se détacher, et le voilà qui traînait à terre. Dolly fut obligée de s’agenouiller et de recommencer de plus belle.

« Qu’est-ce que vous avez besoin de parler du jeune Willet, Varden ? dit sa femme en fronçant le sourcil ; est-ce que vous ne pourriez pas nous parler de quelque chose de plus intéressant ? »

Mlle  Miggs fit un grand reniflement qui avait le même sens.

« Allons ! Marthe, cria le serrurier ; ne soyons pas trop sévères à son égard. Si ce garçon est mort, soyons du moins affectueux pour sa mémoire.

— Un fugitif et un vagabond ! » dit Mme Varden.