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BARNABÉ RUDGE

je ne rencontrerai probablement nulle autre personne ailleurs qui se soucie de le savoir.

— C’est bien vrai, dit le jeune homme en soupirant. J’avais complétement oublié ça ; oui, c’est vrai, bien vrai ! »

En disant ces mots, il se redressa, la figure toute rouge, sans doute à cause des efforts qu’il avait faits pour sangler et boucler partout ; puis, donnant les rênes au serrurier, qui avait pris place dans sa voiture, il soupira derechef, et lui souhaita le bonsoir.

« Bonsoir ! cria Gabriel. Réfléchissez maintenant à ce que nous venons de dire ; ayez des idées plus saines. Pas de coups de tête. Vous êtes un brave garçon ; je m’intéresse à vous, et je serais désolé de vous voir vous mettre vous-même sur le pavé. Bonsoir ! »

Répondant par un souhait cordial à son adieu encourageant, Joe musa jusqu’à ce que le bruit des roues eut cessé de vibrer dans ses oreilles, et alors, secouant la tête avec tristesse, il rentra.

Gabriel se dirigeait vers Londres, pensant à une foule de choses, et surtout au style bouillant dans lequel il raconterait son aventure, et se justifierait ainsi auprès de Mme Varden d’avoir rendu visite au Maypole, en dépit de certaines conventions solennelles entre lui et cette dame. La méditation n’engendre pas seulement la pensée, mais quelquefois aussi l’assoupissement ; or, plus le serrurier méditait, plus il avait envie de dormir.

Un homme peut bien être très sobre, ou du moins se tenir encore ferme sur ce terrain neutre qui sépare les confins de la parfaite sobriété et d’un petit coup de trop, et sentir pourtant une forte tendance à mêler dans son esprit des circonstances présentes avec d’autres qui ne s’y rattachent en rien ; à confondre toute considération de personnes, de temps et de lieux ; à rassembler ses pensées disjointes dans une espèce de brouillamini, de kaléidoscope mental qui produit des combinaisons aussi inattendues que fugitives. Tel était l’état de Gabriel Varden, lorsque, piquant de la tête dans son coquin de sommeil, et laissant son cheval suivre une route qu’il connaissait bien, il gagnait pays sans en avoir conscience, et approchait de plus en