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BARNABÉ RUDGE

morceaux bigarrés qui formaient son costume, trahissait, aussi bien que ses gestes vifs et capricieux, le désordre de son esprit, et, par un grotesque contraste, mettait en relief l’étrangeté plus frappante encore de sa figure.

« Barnabé, dit le serrurier, après un rapide mais soigneux examen, cet homme n’est pas mort ; il a une blessure au flanc, mais il n’est qu’évanoui.

— Je le connais, je le connais ! cria Barnabé en claquant des mains.

— Vous le connaissez ? reprit le serrurier.

— Chut ! dit Barnabé en mettant ses doigts sur ses lèvres. Il était sorti aujourd’hui pour aller faire sa cour. Je ne voudrais pas, pour un beau louis d’or, qu’il retournât encore faire sa cour ; car, s’il y retournait, je sais des yeux qui perdraient bientôt leur éclat, quoi qu’ils brillent comme…. À propos d’yeux, voyez-vous là-haut les étoiles ? De qui donc sont-elles les yeux ? Si ce sont les yeux des anges, pourquoi s’amusent-elles à regarder ici-bas pour voir blesser de bon monde, et ne font-elles que clignoter et scintiller toute la nuit ?

— Dieu ait pitié du pauvre fou ! murmura le serrurier fort perplexe. Connaîtrait-il en effet ce gentleman ? La maison de sa mère n’est pas loin. Je ferais mieux de voir si elle peut me dire qui il est. Barnabé, mon garçon, aidez-moi à le placer dans la voiture, et nous irons ensemble jusque chez vous.

— Impossible à moi de le toucher ! cria l’idiot reculant et frissonnant comme avec un spasme violent ; il est tout en sang.

— Oui, je sais, c’est une répugnance qui est dans sa nature, marmotta le serrurier. Il y a de la cruauté à lui demander un pareil service, mais il faut pourtant qu’on m’aide…. Barnabé ! bon Barnabé ! cher Barnabé ! si vous connaissez ce gentleman. Au nom de sa propre vie, et de la vie de ceux qui l’aiment, aidez-moi à le lever et à l’étendre là.

— Tenez ! couvrez-le, enveloppez-le tout à fait. Ne me laissez pas voir ça, sentir ça, en entendre seulement le mot. Ne prononcez pas le mot. Gardez-vous-en bien.

— Convenu ; n’ayez aucune crainte. Là, regardez, il est couvert maintenant.

— Doucement. C’est ça, c’est ça »