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BARNABÉ RUDGE

« De l’autre côté ! de l’autre côté ! cria-t-elle. Il a pris de l’autre côté. Revenez ! revenez !

— De l’autre côté ! je le vois maintenant, répondit le serrurier, là-bas ; voici son ombre qui passe où est cette lumière. Que fait cet homme ? Qui est-il ? Laissez-moi courir après lui.

— Revenez ! revenez ! s’écria la femme, luttant avec lui et l’étreignant dans ses bras. Ne le touchez pas, au nom de votre salut. Je vous en adjure, revenez ! Il emporte d’autres vies que la sienne. Revenez !

— Que voulez-vous dire ?

— Inutile de savoir ce que je veux dire. Ne demandez rien, n’en parlez plus, n’y pensez plus. Il ne faut pas qu’on le suive, qu’on lui fasse obstacle, qu’on l’arrête. Revenez ! »

Le vieillard la regarda tout ébahi, au moment où elle se tordait pour s’attacher à lui ; et, vaincu par sa douleur impétueuse, il se laissa entraîner dans la maison. Ce ne fut pas avant d’avoir mis la chaîne, fermé la porte à double tour, assuré chaque verrou et chaque barre avec l’ardeur furieuse d’une folle, et l’avoir tiré en arrière dans la chambre, qu’elle dirigea de nouveau sur lui ce regard de statue, plein d’horreur, et que, s’affaissant sur une chaise, elle se couvrit la figure et frissonna comme si la main de la mort était sur elle.



CHAPITRE VI.

Étonné à l’excès des événements qui s’étaient passés avec tant de rapidité et de violence, le serrurier contempla cette femme qui frissonnait sur sa chaise, de l’air d’un homme hébété ; il l’aurait contemplée beaucoup plus longtemps, si la compassion et l’humanité n’eussent délié sa langue.

« Vous êtes malade, dit Gabriel. Laissez-moi appeler quelque voisine.

— Non, pour tout au monde, répondit-elle en lui faisant signe de sa main tremblante, et tenant sa figure encore