Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/108

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

De beaux équipages ou des chaises à porteurs s’arrêtaient pour les laisser passer, ou s’en retournaient sur leurs pas, pour éviter leur rencontre ; les piétons se rangeaient dans l’encoignure d’une allée ou demandaient aux locataires la permission de se tenir à une croisée ou dans le vestibule, en attendant que l’émeute fût passée : mais personne n’intervenait, et, sitôt que le flot était écoulé, chacun reprenait son trantran ordinaire.

Restait encore la quatrième division, et c’était celle que le secrétaire attendait avec le plus d’impatience. Enfin la voilà qui s’avance ! Elle était nombreuse et composée d’hommes de choix : car, en cherchant à les reconnaître, il vit parmi eux bien des figures qui ne lui étaient pas inconnues, et, en tête naturellement, celles de Simon Tappertit, Hugh et Dennis. Ils firent halte, comme les autres, pour pousser leurs hourras ; mais, quand ils se remirent en marche, ils ne proclamèrent pas, comme eux, le but qu’ils se proposaient. Hugh se contenta de lever son chapeau au bout de son gourdin, et partit après avoir jeté un coup d’œil à un gentleman qui était là en spectateur, de l’autre côté de la rue.

Gashford suivit, par instinct, la direction de ce coup d’œil, et vit, debout sur le trottoir, avec une cocarde bleue, sir John Chester, qui leva son chapeau à quelques lignes au-dessus de sa tête pour faire honneur à l’émeute, et s’appuya ensuite avec grâce sur sa canne, souriant de la manière la plus agréable, déployant sa toilette et sa personne tout à fait à leur avantage, et surtout ayant l’air d’une tranquillité inimaginable. Cela n’empêcha pas, malgré toute son habileté, que Gashford ne le vît bien faire un signe de protection à Hugh, pour le reconnaître en passant : car le secrétaire, oubliant la foule, n’eut plus d’yeux que pour sir John.

Celui-ci resta à la même place et dans la même attitude, jusqu’au moment où le dernier homme de la foule eut tourné le coin de la rue. Alors il prit sans hésiter son chapeau, dont il détacha la cocarde, et la remit soigneusement dans sa poche pour la prochaine occasion. Il se rafraîchit avec une prise de tabac, ferma sa tabatière, et se remit en marche tout doucement. Au même instant passait une voiture qui s’arrêta, une main de dame fit tomber la glace, et sir John s’avança aussitôt, le chapeau à la main. Au bout d’une minute ou deux