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Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/115

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Vraiment, oui ! voilà bien le comptoir ! ce comptoir vénéré où les plus hardis n’auraient pas osé entrer sans une invitation spéciale du maître, le sanctuaire, le mystère, le Saint des saints : eh bien ! le voilà, ce comptoir, qui regorge d’hommes, de gourdins, de bâtons, de torches, de pistolets, qui retentit d’un bruit assourdissant de jurons, de cris, de huées, de menaces : ce n’est plus un comptoir, c’est une ménagerie, une maison de fous, un temple infernal et diabolique. Les gens vont et viennent, entrent et sortent, par la porte ou par la fenêtre, cassent les carreaux, tournent les cannelles, boivent les liqueurs dans de pleins bols de porcelaine ; ils se mettent à califourchon sur les tonneaux ; ils fument les pipes personnelles et consacrées de John et de ses pratiques ; ils élaguent le bosquet respecté d’oranges et de citrons, hachent et taillent en plein fromage dans le fameux chester, brisent des tiroirs inviolables et les ouvrent tout grands, mettent dans leurs poches des choses qui ne leur appartiennent pas, se partagent son propre argent sous ses propres yeux, gaspillent, brisent, cassent, foulent aux pieds comme des insensés tout ce qu’ils trouvent ; il n’y a rien d’épargné, rien de sacré. On voit des hommes partout ; en haut, en bas, au premier, à la cuisine, dans les chambres à coucher, dans la cour, dans les écuries. Les portes sont ouvertes ; cela leur est égal, ils montent par la fenêtre. Qu’est-ce qui les empêche de descendre par l’escalier ? non, ils aiment mieux sauter par la croisée. Ils se jettent par-dessus les rampes, pour être plus tôt dans le corridor. À chaque instant ce ne sont que figures nouvelles, une vraie fantasmagorie de gars qui hurlent, de gens qui chantent, de gens qui se battent, de gens qui cassent les verres et les assiettes, de gens qui abreuvent le plancher de la liqueur qu’ils ne peuvent plus boire, de gens qui sonnent la cloche jusqu’à la démancher, de gens qui la frappent à coups de marteau jusqu’à ce qu’ils l’aient mise en morceaux : toujours, toujours, des gens qui grouillent comme des fourmilières ; toujours du bruit, de la fumée de tabac, des torches, de l’obscurité, des folies, des colères, des rires, des gémissements, le pillage, l’effroi, la ruine !

Presque tout le temps que John considéra cette scène épouvantable, Hugh se tint auprès de lui, et, quoiqu’il fût bien le plus tapageur, le plus farouche, le plus malfaisant