Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/131

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Monsieur, lui cria le portier en mettant la main sur la bride de son cheval, au moment où il lui ouvrait un passage, je crois vous reconnaître, monsieur ; croyez-moi, n’allez pas plus loin. Je les ai vus passer, je sais de quoi ces gens-là sont capables. Ils vous assassineront.

— Soit ! dit le cavalier, toujours l’œil fixé sur le feu, et non sur son interlocuteur.

— Mais, monsieur, monsieur, cria l’homme en serrant encore davantage la bride, si vous voulez aller plus loin, portez donc au moins le ruban bleu. Tenez ! monsieur, ajouta-t-il en détachant la cocarde de son chapeau. Si je la porte, ce n’est pas par goût, c’est par nécessité ; c’est que j’ai peur pour moi et pour ma maison. Prenez-la seulement pour cette nuit…. pour cette nuit seulement.

— Faites, monsieur, faites ce qu’il vous dit, crièrent les trois amis, se pressant autour de son cheval.

— Monsieur Haredale, mon digne monsieur, mon brave gentleman, je vous en prie, laissez-vous persuader.

— Qu’est-ce que j’entends-là ? répondit M. Haredale, se baissant pour mieux voir ; n’est-ce pas la voix de Daisy ?

— Oui, monsieur, répliqua le petit homme. Laissez-vous, persuader, monsieur. Ce brave homme dit vrai. Votre vie peut en dépendre.

— Dites-moi, reprit Haredale brusquement, auriez-vous peur de venir avec moi ?

— Moi, monsieur ? n-o-n.

— Eh bien ! mettez cette cocarde à votre chapeau. Si nous rencontrons ces gueux-là, vous leur jurerez que je vous emmène prisonnier, parce que vous la portez. Je leur en dirai autant moi-même : car, aussi vrai que j’espère le pardon du bon Dieu dans l’autre monde, je ne veux pas qu’ils me fassent grâce, pas plus que je ne leur ferai quartier, si nous en venons aux mains ce soir. Allons ! sautez en croupe ! … vite. Tenez-moi bien par la taille, et n’ayez pas peur. »

En un instant les voilà partis au grand galop, dans un nuage de poussière épaisse, et toujours courant devant eux, comme Robin des Bois.

Par bonheur que l’excellent coursier de Haredale connaissait bien la route : car pas une fois, pas une seule fois, dans tout le voyage, M. Haredale n’abaissa les yeux sur le sol, ni ne