Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/171

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leur garde à l’auberge de la Botte, voulait qu’on s’avançât furtivement et qu’on mît le feu à la maison ; mais ses compagnons, qui n’avaient pas envie de se lancer dans ces entreprises téméraires tant qu’ils n’avaient pas un peuple d’insurgés derrière eux, lui représentèrent que, s’il était vrai qu’ils eussent attrapé Barnabé, ils n’avaient pas manqué de le faire passer dans une prison plus sûre ; qu’ils n’auraient pas été assez simples pour le garder toute la nuit dans un lieu si faible et si isolé. Cédant à ces raisons et docile à leurs conseils, Hugh consentit à revenir sur ses pas et à prendre le chemin de Fleet-Market, où ils retrouveraient, selon toute apparence, quelques-uns de leurs plus intrépides camarades, qui s’étaient dirigés de ce côté-là en recevant le même avis.

La nécessité d’agir leur rendit une force nouvelle et rafraîchit leur ardeur : ils pressèrent donc le pas sans songer à la fatigue qui les accablait cinq minutes auparavant, et furent bientôt arrivés à destination.

Fleet-Market, à cette époque, était une longue file irrégulière de hangars et d’appentis en bois qui occupaient le centre de ce qu’on appelle aujourd’hui Farringdon-Street. Ces constructions grossières, adossées malproprement l’une à l’autre, empiétaient jusque sur le milieu de la route, au risque d’encombrer la chaussée et de gêner les passants, qui se dépêchaient de se tirer de là comme ils pouvaient, à travers les charrettes, les paniers, les brouettes, les diables, les tonneaux, les bancs et les bornes, coudoyés par les portefaix, les marchands ambulants, les charretiers, par la foule bigarrée d’acheteurs, de vendeurs, de voleurs, de coureurs, de flâneurs. L’air était parfumé de la puanteur des herbes pourries et des fruits moisis, des rebuts de la boucherie, des boyaux et des tripailles jetés sur le chemin. On croyait alors qu’il fallait acheter par ces incommodités publiques l’avantage d’avoir dans les villes certains commerces utiles, et Fleet-Market exagérait encore la chose.

C’est en cet endroit, peut-être parce que ses hangars et ses paniers pouvaient remplacer passablement un lit pour ceux qui n’en avaient pas, peut-être aussi parce qu’il offrait les moyens de faire, en cas de besoin, des barricades improvisées, que les émeutiers étaient venus en nombre, non--