Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/207

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la foule et marchaient sur le corps de leurs camarades pour arriver jusqu’à lui, le visant, par-dessus la tête des autres, avec leurs haches et leurs piques, tout échouait devant son courage obstiné. Il les regardait l’un après l’autre, homme par homme, face à face, et toujours avec sa voix fatiguée, son visage pâlissant, il leur criait haut et ferme : « Non, je ne veux pas ! »

Dennis lui asséna sur la figure un coup de poing qui le jeta par terre. Il se remit sur ses pieds avec la prestesse d’un jeune homme, et, le front tout ensanglanté, il lui sauta à la gorge.

« Ah ! c’est toi, chien de lâche ? lui dit-il ; rends-moi ma fille, rends-moi ma fille. »

Ils luttèrent ensemble. Il y en avait qui criaient : « Tuez-le ! » et d’autres qui heureusement ne se trouvaient pas assez près, qui voulaient l’écraser sous leurs pieds. Quant au bourreau, il avait beau serrer de toutes ses forces les poignets de son adversaire, il ne pouvait pas venir à bout de lui faire lâcher prise.

« Si c’est comme ça que vous me remerciez, monstre d’ingratitude ! dit-il enfin avec force jurons et hors d’haleine, car il avait toutes les peines du monde à articuler une parole.

— Rends-moi ma fille, criait le serrurier, devenu aussi furieux que ceux qui l’entouraient ; rends-moi ma fille. »

Renversé encore une fois, encore une fois redressé, puis par terre, il luttait contre une vingtaine d’hommes qui se le passaient de main en main, quand un grand coquin, qui sortait de l’abattoir avec ses habits et ses grandes bottes encore chauds et fumants de sang et de graisse, leva une hallebarde et, poussant un horrible jurement, visa la tête découverte du brave vieillard. Au même instant, pendant qu’il avait le bras levé pour frapper, il tomba lui-même comme d’un coup de foudre, et un manchot lui passa sur le corps pour venir en aide au serrurier. Il avait un autre homme avec lui, et à eux deux ils saisirent vivement et rudement l’artisan.

« Vous n’avez qu’à nous le laisser, crièrent-ils à Hugh en jouant des pieds et des mains pour se frayer un passage en arrière à travers la foule. Vous n’avez qu’à nous le laisser. N’allez-vous pas gaspiller votre force contre cet homme-là,