Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/273

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imposait, ou bien fallait-il l’attribuer à d’autres causes ? elles n’en pouvaient rien savoir. Quelquefois elles s’imaginaient qu’il fallait en imputer la raison à ce qu’il y avait dans cette chambre un malade, parce que la nuit précédente on avait entendu un piétinement de gens qui paraissaient apporter un fardeau, et, après cela, un bruit semblable à un gémissement. Mais elles n’avaient aucun moyen de s’en assurer ; les moindres questions, les moindres prières de leur part ne leur attiraient qu’un orage de jurements, ou d’insultes pires encore ; et elles ne demandaient qu’une chose, c’était qu’on les laissât tranquilles, sans avoir à subir de menaces ou de compliments ; trop heureuses de cet isolement pour risquer de compromettre la paix qu’elles y trouvaient par quelque communication aventureuse avec ceux qui les tenaient en captivité.

Il était bien évident, pour Emma et même pour la pauvre petite fille du serrurier, que c’était elle, Dolly, qui était le grand objet de convoitise de ces brigands ; et qu’aussitôt qu’ils auraient le loisir de s’occuper de soins plus tendres, Hugh et M. Tappertit ne manqueraient pas d’en venir aux coups pour elle, auquel cas il n’était pas difficile de prévoir à qui tomberait cette jolie prise. En proie à son ancienne horreur pour ce misérable, ravivée maintenant par le danger et devenue un sentiment indicible d’aversion et d’épouvantable dégoût ; en proie à mille souvenirs, à mille regrets, à mille sujets d’angoisse, d’anxiété, de crainte, qui ne lui laissaient aucun repos, la pauvre Dolly Varden…. la suave, la florissante, la folâtre Dolly, commençait à pencher la tête, à se faner et se flétrir comme une belle fleur. Les roses s’éteignaient sur ses joues, son courage l’abandonnait, son triste cœur était en défaillance. Adieu tous ses caprices provoquants, ses goûts de conquête et d’inconstance, toutes ses petites vanités séduisantes : il n’en restait plus rien. Elle demeurait blottie tout le long du jour contre le sein d’Emma Haredale ; tantôt appelant son cher père, son vieux père en cheveux gris, tantôt sa mère ; tantôt soupirant même après son logis, si précieux à sa mémoire ; elle dépérissait lentement, comme un pauvre oiseau dans sa cage.

Cœurs légers, cœurs légers, qui vous laissez doucement