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Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/279

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— Et tout près de nous ?

— Je ne puis pas dire cela, répondit-il d’un air doucereux ; ils sont, au contraire, bien loin. Les vôtres, ma mignonne, ajouta-t-il en s’adressant à Dolly, ne sont qu’à quelques heures d’ici : vous pourrez leur être rendue, j’espère, cette nuit.

— Mon oncle, monsieur ? … balbutia Emma.

— Votre oncle, chère demoiselle Haredale, heureusement…. je dis heureusement, parce qu’il s’est tiré mieux qu’un grand nombre de nos coreligionnaires de ce conflit… est en lieu de sûreté…. il a traversé la mer et s’est réfugié sur le continent.

— Dieu soit béni ! dit Emma presque défaillante.

— Vous avez bien raison : il y a de quoi le bénir plus que vous ne pouvez l’imaginer peut-être, n’ayant pas eu la douleur de voir une seule de ces nuits de cruels outrages.

— Désire-t-il, dit Emma, que j’aille le rejoindre ?

— Comment pouvez-vous le demander ? cria l’étranger d’un air de surprise. S’il le désire ! Mais vous ne savez donc pas le danger qu’il y aurait pour vous à rester en Angleterre, la difficulté d’échapper, tous les sacrifices que feraient volontiers des milliers de personnes pour en acheter les moyens ! sans cela vous ne me feriez pas pareille question. Mais pardon ! j’oubliais que vous ne pouviez pas vous douter de tout cela, étant restée ici prisonnière.

— Je m’aperçois, monsieur, dit Emma après un moment de silence, par tout ce que vous venez de me faire entendre sans oser me le dire, que je n’ai vu que la première et la moins violente des scènes de désordre dont nous pouvions être menacés, et que leur furie ne s’est pas encore ralentie. »

Il haussa les épaules, secoua la tête, leva les mains au ciel, et toujours avec le même sourire doucereux, qui n’était pas agréable à voir, abaissa ses yeux à terre et resta silencieux.

« Vous pouvez hardiment, monsieur, reprit Emma, me dire toute la vérité : les maux par lesquels nous venons de passer nous ont préparées à tout entendre. »

Mais ici Dolly s’entremit, pour la prier de ne pas insister pour savoir tout, le mal comme le bien, et supplia le gentleman de ne dire que le bien, et de garder le reste pour le