Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/34

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bien des gentlemen qui n’en vivent pas plus mal pour avoir la tête dure, mais qui ne feraient pas grand’chose d’un cœur tendre. Écoutez. Il s’agit ici d’une affaire qui n’a rien à voir avec les sympathies et le sentiment. En ma qualité d’ami commun, je désire arranger les choses d’une manière satisfaisante, si c’est possible, et c’est possible. Si vous êtes pauvre comme vous dites à présent, c’est que vous le voulez bien. Vous avez des amis qui ne vous laisseraient pas dans le besoin s’ils le savaient. Mon ami, à moi, est dans une position plus gênée et plus misérable qu’on ne peut croire, et, comme vous êtes l’un et l’autre les anneaux d’une même chaîne, il est tout naturel que ce soit de votre côté qu’il se tourne pour obtenir aide et assistance. Il a partagé longtemps mon logis et ma table : car, je vous le disais tout à l’heure, j’ai le défaut d’avoir le cœur tendre, et je ne puis m’empêcher, comme ami, de trouver qu’il a tout à fait raison de s’adresser à vous. Vous avez toujours eu un abri sur votre tête ; lui, il a toujours erré sans asile. Vous avez votre fils pour vous aider et vous consoler ; lui, il n’a personne. Il ne faut pas que tous les avantages soient du même côté. Puisque vous êtes embarqués dans le même bateau, il faut vous partager le lest avec plus d’équité. »

Elle allait prendre la parole, lorsqu’il l’en empêcha pour continuer :

« Le seul moyen de le faire, c’est de boursicotter pour moi et mon ami ; et c’est le conseil que je voulais vous donner. Il ne vous en veut pas, à ce que je peux croire, madame ; bien loin de là : car, malgré la dureté avec laquelle vous l’avez traité plus d’une fois, en le mettant pour ainsi dire à la porte, il a tant d’égards pour vous, je pense, que, même dans le cas où vous tromperiez aujourd’hui son attente, il consentirait à se charger de votre fils pour en faire un homme. »

Il prononça ces derniers mots avec une expression particulière et se tut pour en voir l’effet. La pauvre veuve ne répondit que par des larmes.

« C’est un garçon, dit l’aveugle d’un air réfléchi, qui paraît avoir des dispositions : on pourra en faire quelque chose. Il a l’air assez disposé, d’après ce que j’ai entendu ce soir de sa conversation avec vous, à essayer de changer un