Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/346

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— On l’a coupé, marmotta M. Willet, toujours les yeux fixés sur le feu, à la défense de la Savaigne, en Amérique, dans le pays où on fait la guerre.

— C’est bien cela, répliqua Joe, souriant et s’appuyant, avec le coude qui lui restait, sur le dos du fauteuil de son père. C’est justement le sujet dont je venais causer avec vous. Un homme qui n’a plus qu’un bras, père, ne peut pas servir à grand’chose dans l’activité générale de ce monde. »

C’était là une de ces propositions vastes auxquelles M. Willet n’avait jamais réfléchi et qui méritaient mûre considération. Aussi ne répondit-il pas.

« Dans tous les cas, reprit Joe, il n’est pas libre de prendre et de choisir ses moyens d’existence comme un autre. Il ne peut pas dire : « Je vais mettre la main à ceci, » ou : « Je ne veux pas mettre la main à cela ; » il faut qu’il prenne ce qu’il trouve, et encore qu’il se trouve heureux de n’être pas réduit à pis…. Plaît-il ? »

M. Willet venait, en effet, de se répéter tout bas à lui-même, d’un air rêveur, les mots : « Défense de la Savaigne, » mais il parut embarrassé d’avoir été entendu, et répondit : « Rien.

— Maintenant, écoutez bien, père. M. Édouard est revenu en Angleterre des Indes occidentales. À l’époque où on l’a perdu de vue (vous savez, père, le même jour où je me sauvai de mon côté), il a fait un voyage dans une île de ce pays-là, où s’était établi un de ses camarades de collège. Quand il l’eut retrouvé là, il ne se crut pas déshonoré de prendre un emploi dans son domaine et…. et, bref, il y a bien fait ses affaires ; il y prospère, il a fait ici un voyage pour son compte, et va y retourner au plus tôt. C’est un bonheur de toute manière que nous soyons revenus à peu près en même temps, et que nous nous soyons rencontrés dans les derniers troubles : car non-seulement ce fut pour nous l’occasion de rendre service à d’anciens amis ; mais cette circonstance m’a procuré l’avantage de pouvoir me tirer d’affaire sans être à charge à personne. En un mot, père, il peut me donner de l’occupation ; de mon côté, je me suis assuré que je peux lui être de quelque utilité, et je m’en vais emporter mon unique bras à son service pour en tirer le meilleur parti possible. »