Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/358

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que s’il avait volé comme une plume sur la surface de l’eau, et il n’en tenait pas moins ferme, sans le lâcher seulement une fois, un bras serré contre le sien : c’était celui d’un ami vers lequel il se tournait de temps en temps pour lui frapper sur l’épaule, ou bien pour lui glisser un mot d’encouragement solide, ou bien pour l’égayer par un sourire ; mais avant tout, son soin constant était de le défendre contre l’empressement indiscret de la foule, et de lui ouvrir un passage pour le faire entrer à la Clef-d’Or. Passif et timide, effarouché, pâle, étonné, regardant la foule comme s’il venait de ressusciter des morts, et qu’il se considérât lui-même comme un revenant au milieu des vivants, Barnabé…. non pas Barnabé en esprit, mais bel et bien Barnabé en chair et en os, avec un pouls naturel, des nerfs, des muscles, un cœur qui battait bien fort, et des émotions violentes…. se pendait au bras de son vieil ami, le robuste serrurier, se laissant conduire par lui comme un enfant.

C’est ainsi qu’à la fin des fins ils atteignirent la porte, que des mains complaisantes tenaient toute prête en dedans pour les recevoir. Alors, se glissant par l’ouverture, et repoussant de vive force la foule de ses pétulants admirateurs, Gabriel ferma la porte derrière lui, et se trouva entre M. Haredale et Édouard Chester, pendant que Barnabé ne faisait qu’un bond au haut de l’escalier et tombait à genoux au pied du lit de sa mère.

« Bénie soit la fin de la plus heureuse et de la plus rude besogne que nous ayons faite de notre vie ! dit à M. Haredale le serrurier haletant. Les mâtins ! avons-nous eu du mal à nous en débarrasser ! En vérité, j’ai vu le moment où, avec toutes leurs belles amitiés, nous allions y rester. »

Ils avaient employé toute la journée précédente à tâcher d’arracher Barnabé à son triste destin. Trompés dans leurs tentatives auprès des premières autorités auxquelles ils s’étaient adressés, ils les renouvelèrent d’un autre côté. Encore repoussés par là, ils recommencèrent sur nouveaux frais au milieu de la nuit, et finirent par parvenir, non-seulement jusqu’au juge et au jury qui l’avaient condamné, mais jusqu’à des personnages influents à la cour, jusqu’au jeune prince de Galles, et jusqu’à l’antichambre du roi lui-même. Ayant enfin réussi à éveiller quelque intérêt en sa faveur,