Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/89

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brusquement, ouvrit la porte, dont il connaissait bien le truc, et se précipita dans la rue comme un chien enragé. Le serrurier s’arrêta un moment, dans l’excès de sa stupéfaction, puis lui donna la chasse.

On ne pouvait pas mieux choisir le moment pour courir ; à cette heure silencieuse les rues étaient désertes, l’air frais ; la figure qu’il poursuivait se voyait clairement à distance, fuyant comme un trait, avec une ombre longue et gigantesque sur ses talons. Mais le pauvre serrurier était un peu poussif pour espérer de vaincre à la course un jeune homme comme Simon, que la graisse n’empêchait pas de courir : ah ! autrefois, à la bonne heure, il l’aurait rattrapé en un rien de temps. Aussi commençait-il à être bien distancé, et, au moment où les premiers rayons du soleil levant vinrent éblouir Gabriel Varden, au tournant d’une rue, il ne fut pas fâché d’abandonner la partie et de s’asseoir sur une marche pour reprendre haleine. Pendant ce temps-là, Simon, sans s’arrêter une fois, fuyait toujours avec la même rapidité dans la direction de la Botte, où il savait bien qu’il allait retrouver des camarades. Cette respectable auberge, déjà avantageusement connue pour avoir attiré sur elle l’œil de la police, avait même organisé pour la circonstance une surveillance amicale, et placé des vedettes pour attendre le retour du petit capitaine.

« Fais comme tu voudras, Simon, fais comme tu voudras, dit le serrurier, aussitôt qu’il put recouvrer l’usage de la parole. J’ai fait ce que j’ai pu pour te sauver, mon pauvre garçon ; mais je vois bien que c’est inutile, et que tu te mets toi-même la corde au col. »

En même temps il branla la tête d’un air triste et découragé, revint sur ses pas, se dépêcha de rentrer chez lui, où il trouva Mme Varden et la fidèle Miggs qui attendaient avec impatience son retour.

Or, Mme Varden, et par conséquent aussi Mlle Miggs, étaient troublées par de secrets reproches qu’elles s’adressaient en elles-mêmes. Voilà ce que c’est que d’avoir aidé et soutenu, de toutes ses forces, le commencement d’un désordre dont personne à présent ne pouvait plus prévoir la fin ! Voilà ce que c’est que d’avoir indirectement amené la scène dont elles venaient d’être témoins ! À présent, c’était au ser-