Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/326

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ternité, roulait avec eux comme un puissant fleuve qui enfle et précipite son cours à mesure qu’il approche de la mer. C’est à peine si le matin était arrivé, ils étaient restés assis à causer ensemble comme dans un rêve, et déjà venait le soir. L’heure redoutable de la séparation, qui, hier encore, semblait si éloignée, allait sonner.

Ils marchaient ensemble dans la cour des condamnés, sans se quitter l’un l’autre, mais sans parler. Barnabé trouvait que la prison était un séjour pénible, lugubre, misérable, et espérait le lendemain comme un libérateur qui allait l’arracher à ce lieu de tristesse pour le conduire vers un lieu de lumière et de splendeur. Il avait une idée vague qu’on s’attendait à le voir se conduire en brave…. qu’il était un homme d’importance, et que les geôliers seraient trop contents de le surprendre à verser des larmes. À cette pensée, il foulait la terre d’un pied plus ferme, en recommandant à sa mère de prendre courage et de ne plus pleurer. « Sentez ma main, lui disait-il, vous voyez bien qu’elle ne tremble pas. Ils me traitent d’imbécile, ma mère, mais ils verront…. demain. »

Dennis et Hugh étaient dans la même cour. Hugh sortit de sa cellule en même temps qu’eux, s’étirant les membres comme s’il venait de dormir. Dennis était assis sur un banc dans un coin, son menton enfoncé dans ses genoux, et il se balançait de haut en bas, comme une personne qui souffre des douleurs atroces.

La mère et le fils restèrent d’un côté de la cour, et ces deux prisonniers de l’autre. Hugh marchait à grands pas de long en large, jetant de temps à autre un regard farouche vers le ciel brillant d’un jour d’été, puis se retournant, après cela, pour regarder la muraille.

« Pas de sursis ! pas de sursis ! Personne ne vient. Nous n’avons plus que la nuit, à présent, disait Dennis d’une voix faible et gémissante en se tordant les mains. Croyez-vous qu’ils vont m’accorder mon sursis ce soir, camarade ? Ce ne serait pas la première fois que j’aurais vu arriver des sursis la nuit. J’en ai vu qui n’arrivaient qu’à cinq, six et même sept heures du matin. Ne pensez-vous pas qu’il me reste encore quelque bonne chance, n’est-ce pas ? Dites-moi que oui, dites-moi que oui, jeune homme, criait la miséra-