Page:Dickens - Barnabé Rudge, tome 2, Hachette, 1911.djvu/325

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voir épargner sa vie, il n’y en avait pas un parmi eux qui l’eût fait avec un zèle plus pur, ni avec une plus grande sincérité de cœur que le bon serrurier.

Barnabé devait mourir. Il n’y avait plus d’espérance. Ce n’est pas le moindre des maux qui résultent de cette punition suprême et terrible, la peine de mort, qu’elle endurcit les cœurs de ceux qui ont affaire à elle, et fait des hommes les plus aimables d’ailleurs, les êtres les plus indifférents à la grande responsabilité qui pèse sur eux : souvent même ils ne s’en doutent pas. On avait prononcé la sentence qui condamnait à mort Barnabé. On la prononçait, tous les mois, pour des crimes plus légers. C’était une chose si ordinaire, qu’il y avait bien peu de personnes que cet arrêt épouvantable fît tressaillir, ou qui se donnassent la peine d’en discuter la légitimité. Cette fois encore, cette fois surtout, où la Loi avait été outragée d’une manière si flagrante, il fallait assurer, disait-on, « la dignité de la Loi. » Le symbole de sa dignité, gravé à chaque page du Code criminel, c’était la potence, et Barnabé devait mourir.

On avait essayé de le sauver. Le serrurier avait porté pétitions sur pétitions, mémoires sur mémoires, de ses propres mains à la source des grâces. Mais la source des grâces n’était pas, comme dans la Bible, la fontaine de miséricorde, et Barnabé devait mourir.

Depuis le commencement, sa mère ne l’avait pas quitté un moment, excepté la nuit ; et, en la trouvant à ses côtés, il était content comme toujours. Ce jour-là, qui devait être le dernier pour lui, il fut plus animé et plus fier qu’il ne l’avait encore été ; et, quand elle laissa tomber de ses mains le saint livre qu’elle venait de lui lire tout haut, pour lui sauter au cou, il s’arrêta dans le soin empressé qu’il prenait de rouler un morceau de crêpe autour de son chapeau, tout surpris des angoisses de sa mère. Grip proféra un faible croassement, moitié encouragement, à ce qu’on pouvait croire, moitié remontrance ; mai s’il n’eut pas le cœur d’aller plus loin, et retomba brusquement dans un profond silence.

Pendant qu’ils étaient là sur le bord de ce grand golfe, au delà duquel personne ne peut voir l’Océan, le Temps, qui allait bientôt lui-même se perdre dans le vaste abîme de l’É-