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schellings ou cinq livres… vous savez compter, vous autres ; mais débarrassez-en la maison.

— Et que deviendra-t-il ? demanda mon tuteur.

— Je n’en ai pas la moindre idée, répondit M. Skimpole en haussant les épaules et en souriant de son agréable sourire ; mais je ne doute pas le moins du monde qu’il ne devienne quelque chose.

— N’est-ce pas horrible de songer, continua mon tuteur à qui j’avais brièvement raconté les efforts inutiles des deux femmes, que, si ce malheureux était condamné pour n’importe quel crime, l’entrée de l’hôpital lui serait ouverte à deux battants et qu’on l’y soignerait à merveille ?

— Mon cher Jarndyce, reprit M. Skimpole, pardonnez-moi la simplicité de ma question comme venant d’une créature parfaitement ignorante des affaires de ce bas monde, pourquoi ne se fait-il pas condamner ? »

Mon tuteur, qui marchait à grands pas, s’arrêta tout à coup et regarda M. Skimpole avec un visage où l’indignation se mêlait à une certaine envie de rire.

«  Notre jeune ami, poursuivit M. Skimpole, ne saurait être soupçonné, je le suppose, d’une délicatesse exagérée ; il me semble qu’il serait plus sage, et en quelque sorte plus honorable pour lui, de montrer un peu de cette énergie mal placée qui le conduirait en prison. Il ferait preuve dans ce cas-là d’un esprit aventureux, et partant d’une certaine poésie.

— Je ne crois pas, répondit mon tuteur en se remettant à marcher avec agitation, qu’il y ait sur terre un second enfant comme vous.

— En vérité ? reprit M. Skimpole ; mais enfin je ne vois pas pourquoi notre jeune ami ne chercherait pas à profiter, dans la mesure de ses moyens, de la somme de poésie qui a été mise à son service. Il a, sans aucun doute, reçu avec le jour un fort bon appétit ; n’est-il pas naturel qu’à l’heure de son dîner, vers midi, par exemple, notre jeune ami dise à la société : « J’ai faim, soyez donc assez bonne pour avancer votre cuiller et me servir à manger. » La société, qui a pris sur elle l’organisation générale du système des cuillers, et qui professe ouvertement qu’elle en a une pour notre jeune ami, n’avance pas celle qu’il réclame ; notre jeune ami est donc en droit de lui dire : « Vous m’excuserez si je la prends. » C’est là ce que j’appelle un cas d’énergie subversive, où la justice et la raison s’allient au romanesque ; et notre jeune ami m’inspirerait plus d’intérêt comme représentant de ce principe, que comme simple vagabond, sans caractère et sans couleur.