Page:Dickens - Bleak-House, tome 2.djvu/140

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Ma vie doit-elle donc se traîner jour par jour d’après votre bon plaisir ? demande-t-elle sans détourner la tête.

— J’en ai peur, lady Dedlock.

— Pensez-vous que mon martyre soit nécessaire ?

— Je suis toujours sûr de la nécessité des choses que je recommande.

— Ainsi je dois rester sur ce brillant théâtre où j’ai joué pendant si longtemps mon misérable rôle, et cela pour voir tout crouler à votre premier signal ?

— Non pas sans être prévenue, lady Dedlock ; je ne ferai rien sans vous en avertir.

— Nous nous verrons comme autrefois ?

— Absolument, milady.

— Et il me faudra garder mon secret, comme je le fais depuis tant d’années ?

— Je ne serais pas revenu sur cet article ; mais permettez-moi de vous dire, milady, que votre secret n’est pas plus lourd qu’il ne l’était jadis, et que les choses restent dans le même état. Je sais, il est vrai, ce que j’ai longtemps ignoré ; mais je ne crois pas que nous ayons jamais eu grande confiance l’un dans l’autre. »

Milady, qui a fait toutes ces questions comme en rêve, demeure quelques instants silencieuse, et demande ensuite à M. Tulkinghorn s’il a encore quelque chose à lui dire.

« Je serai bien aise, répond l’avoué en se frottant les mains, de recevoir l’assurance que vous acceptez mes arrangements.

— Recevez-la donc, monsieur.

— Très-bien ; je conclus en vous répétant que la seule chose que j’envisage, au cas où je serais forcé d’en venir à informer sir Leicester, est l’honneur du baronnet et celui de la famille ; j’aurais été bien heureux de pouvoir prendre également les intérêts de Votre Seigneurie en considération ; malheureusement, c’est tout à fait impossible.

— Je pourrai, monsieur, rendre témoignage de votre dévouement et de votre fidélité. »

Milady reste immobile quelques moments encore ; puis elle se retourne et traverse la chambre avec la grâce majestueuse qui ne l’abandonne jamais ; M. Tulkinghorn lui ouvre la porte exactement de la même façon qu’il l’eût fait il y a dix ans, et s’incline jusqu’à terre lorsqu’elle passe devant lui. Un regard étrange répond dans l’ombre au salut du procureur ; la porte se referme, et le vieil avoué se dit à lui-même qu’il a fallu à cette femme une force peu commune, pour s’imposer une telle contrainte.