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ne demanderait pas mieux que de le reconnaître un jour ; ses soupçons étaient la conséquence du procès. Raison de plus, ajoutait-il, pour s’en occuper sans cesse, afin d’en presser la conclusion. Cette malheureuse affaire dominait tellement son esprit, que chaque observation qui lui était faite ne servait qu’à lui fournir de nouveaux arguments à l’appui de sa conduite. « Aussi vaut-il mieux, disait mon tuteur, ne pas s’occuper de lui que d’essayer de lui faire des remontrances plus nuisibles qu’utiles. »

Comme nous en parlions un soir, je profitai de l’occasion pour dire à M. Jarndyce toutes les craintes que m’inspirait M. Skimpole, et combien je doutais qu’il fût d’un bon conseil. Mon tuteur se mit à rire en me demandant qui jamais aurait l’idée de consulter un pareil individu.

« Peut-être bien Richard, lui répondis-je.

— Oh ! que non, reprit mon tuteur ; il s’amuse de ses divagations pleines d’originalité ; mais quant à lui demander un avis, c’est autre chose ; rassurez-vous, ce vieil enfant ne sera jamais pris au sérieux par personne.

— Et d’où vient qu’il est ainsi ? demanda Éva, qui venait d’entrer au salon et qui avait entendu les dernières paroles de mon tuteur.

— Il n’a jamais été que sensation et fantaisie, répondit M. Jarndyce. On attacha trop d’importance autrefois à ces qualités qui plurent dans sa jeunesse ; et, au lieu d’en régulariser l’essor, on en a favorisé le développement au préjudice de la réflexion et du bon sens.

— Il est fâcheux, dit Éva, qu’il se soit lié avec Richard. En supposant qu’il ne lui donne pas de mauvais conseils, il n’en est pas moins pour lui un grand sujet de dépense.

— Vraiment ? reprit mon tuteur avec vivacité. Il faut y mettre ordre ; je ne peux pas souffrir ces choses-là.

— Ce qu’il y a de plus regrettable, dis-je à mon tour, c’est qu’il ait placé Richard entre les griffes de M. Vholes, et cela pour un billet de cinq livres que lui a donné ce dernier.

— Comment, cinq livres ! s’écria M. Jarndyce, dont le visage exprima une vive contrariété. Eh bien ! ceci vous peint l’homme. Pour lui, c’est une chose toute simple et qui n’a rien de répréhensible ; le sens moral lui manque, aussi bien que le sentiment des valeurs. Il conduit Richard à M. Vholes, qui lui prête quelque argent ; il n’en voit pas plus long, et la preuve, c’est qu’il est capable de le raconter à la première occasion.

— C’est par lui-même que nous l’avons su, répondis-je.