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Aussitôt ce fut pour moi un trait de lumière.

« Je vais rester avec mon cher époux ; nous sommes mariés depuis deux mois. » Elle inclina son front sur la poitrine de Richard, et il me fut donné de contempler un amour que la mort seule pouvait éteindre.

« Éva, lui dit-il rompant le silence le premier, dites à Esther comment tout cela s’est fait. »

Mais je la pris dans mes bras et la couvris de baisers ; qu’avais-je besoin de l’entendre ? « Pauvre chérie, lui disais-je ; pauvre, pauvre enfant ! » Car ma première impression fut de la plaindre, malgré l’amitié que je ressentais pour Richard.

« Me pardonnez-vous, Esther ? et M. Jarndyce, croyez-vous qu’il me pardonne ?

— En douter un moment, lui répondis-je, ce serait lui faire injure. Quant à moi, chère amie, qu’ai-je à vous pardonner ? »

J’essuyai ses larmes et j’allai m’asseoir sur le sofa, entre elle et son mari.

« Tout ce que j’avais était à Richard, me dit le pauvre ange ; il ne voulait pas l’accepter ; il ne me restait d’autre moyen que de devenir sa femme ; vous comprenez, Esther ?

— Et vous étiez si occupée, dame Durden, reprit Richard, qu’il n’y avait pas à vous parler ; d’ailleurs, l’affaire n’a pas été longue ; nous sortîmes un beau jour et tout fut terminé.

— Que de fois j’ai songé à vous l’apprendre, me dit Éva, mais je ne savais pas comment faire, et j’en étais bien malheureuse. »

Elle tira son alliance de son sein, la baisa et la mit à son doigt ; je me souvins alors de ce que j’avais remarqué la veille, et je dis à Richard que, depuis son mariage, elle l’avait portée toutes les nuits, quand il n’y avait près d’elle personne qui pût la voir. Elle me demanda, en rougissant, comment je l’avais deviné ; je lui dis que j’avais vu sa main cachée sous l’oreiller, que je ne savais pas alors quel en était le motif, mais qu’à présent je le comprenais à merveille. Et ils me racontèrent de nouveau tout ce qui s’était passé. J’étais triste et heureuse à la fois ; je ne sais pas lequel des deux sentiments dominait dans mon cœur. Je les plaignais de toute mon âme, et pourtant j’éprouvais un certain orgueil de leur amour ; mais je me détournai pour cacher mon visage ; je ne voulais pas assombrir leur bonheur.

Le moment où je devais les quitter vint enfin, et ce fut l’instant le plus pénible, car ma pauvre amie, donnant un libre cours à ses larmes, se jeta dans mes bras en m’appelant des noms les plus chers et en me demandant ce qu’elle deviendrait