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«  Non pas, dit-il ; que diantre ! on ne blesse point ainsi les sentiments d’un homme qui a dans le cœur l’image d’une beauté insensible, et qui souffre dans ces cordes que font vibrer les plus tendres émotions. Vous, Tony, qui possédez tout ce qui charme les yeux et attire la beauté, vous n’êtes pas… fort heureusement pour vous, et je souhaiterais qu’il en fût ainsi de moi-même, vous n’êtes pas de ceux qui suspendent leur âme à une seule fleur. Le jardin vous est ouvert et vos ailes vous y portent de rose en rose. Et pourtant, je me garderais bien, Tony, de blesser sans motifs les sentiments de votre âme.

— Ne parlons plus de ça, William, je vous en conjure ! » dit M. Weevle avec emphase.

M. Guppy consent à oublier un sujet aussi pénible et répond d’une voix dolente : « Ce n’est pas de mon propre mouvement, Tony, que j’aurais évoqué ce douloureux souvenir.

— Et maintenant, pour en venir à ce paquet de lettres, dit M. Weevle en attisant les charbons, n’est-ce pas bien bizarre de la part du vieux Krook d’avoir fixé minuit, l’heure fatale, pour déposer ça entre mes mains ?

— Assurément ! Quel peut être son motif ?

— Est-ce qu’il le sait lui-même ! Il a pris pour prétexte que c’est demain son jour de naissance ; et il a fini par me dire qu’il ne me donnerait les lettres qu’à minuit ; peut-être parce qu’il est ivre en ce moment ; toute la journée il n’a fait que boire.

— Pourvu qu’il n’oublie pas son rendez-vous !

— N’ayez pas peur ; il n’oublie jamais rien. Je l’ai vu ce soir : je l’ai même aidé à fermer sa boutique ; il m’a montré les lettres qu’il avait dans sa casquette ; il les en a tirées après la fermeture du magasin, et s’est assis devant le feu en défaisant le paquet pour l’examiner encore ; je suis rentré dans ma chambre et l’ai entendu bourdonner, à la façon du vent qui gronde, sa chanson du vieux Caron et de Bibo, un ivrogne qui était soûl quand il est mort ; depuis il n’a pas plus bougé qu’un vieux rat dans son trou.

— Et vous descendrez à minuit ?

— À minuit ; mais, comme je vous le disais quand vous êtes arrivé, il me semble qu’il est au moins cent heures.

— Il ne sait pas lire ? demande M. Guppy après avoir réfléchi pendant quelques instants.

— Il ne l’a jamais su et ne le saura jamais ; il est trop vieux maintenant et surtout trop ivrogne. Il épelle ses lettres une à une ; c’est moi qui les lui ai apprises ; mais il n’en sait pas davantage, soyez-en bien certain.