Page:Dickens - Bleak-House, tome 2.djvu/255

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— S’il avait osé m’en souffler un mot, ce qu’il n’a jamais tenté, c’est moi qui l’aurais tué, s’écrie le baronnet en frappant sur la table ; mais il est arrêté dans sa fureur par le regard malin de l’officier de police, qui remue lentement son index et secoue la tête d’un air patient, mais assuré.

— M. Tulkinghorn était impénétrable, et je ne pourrais pas dire quelle fut à cet égard sa première pensée, reprend M. Bucket : mais je tiens de sa propre bouche qu’il soupçonnait depuis longtemps lady Dedlock d’avoir découvert, à l’écriture de je ne sais quel papier qui lui fut présenté devant vous, sir Leicester, l’existence d’un homme excessivement pauvre, qui avait été son amant avant l’époque où vous lui fîtes la cour, et qu’elle avait dû épouser… ; qu’elle avait dû épouser, répète l’agent de police en appuyant sur ces paroles. Je tiens des lèvres du défunt, que cet homme étant mort, lui, M. Tulkinghorn, avait soupçonné lady Dedlock d’avoir visité le misérable réduit et la tombe plus misérable encore de son ancien amant. Le défunt me chargea de vérifier le compte de Sa Seigneurie, excusez-moi si je me sers du terme que nous employons dans ce cas-là ; et je pus confirmer les suppositions que M. Tulkinghorn avait faites sans que l’ombre d’un doute pût subsister dans mon esprit ; j’ai l’intime conviction que le défunt poursuivit cette enquête jusqu’à sa dernière heure ; et qu’il avait eu à ce sujet une discussion envenimée avec milady le soir même du meurtre dont il fut victime. Soumettez à lady Dedlock tout ce que je viens de vous dire, sir Leicester, et demandez-lui si, après le départ de M. Tulkinghorn, Sa Seigneurie n’est pas allée chez le défunt enveloppée d’un manteau noir à grande frange, dans l’intention d’ajouter un mot à l’entretien qu’ils venaient d’avoir ensemble. »

Sir Leicester, foudroyé, regarde fixement ce doigt cruel qui lui fouille le cœur jusqu’à la source de la vie.

« Dites-le-lui comme venant de moi, sir Leicester ; et si, par hasard, Sa Seigneurie éprouvait quelque difficulté à se rappeler cette circonstance, ajoutez que c’est inutile, que je sais tout, que je sais qu’elle a passé sur l’escalier à côté du soldat, ainsi que vous appelez cet ancien militaire, et qu’elle le sait aussi bien que moi. »

Le baronnet, qui s’est couvert le visage de ses deux mains, laisse tomber un gémissement et prie M. Bucket de s’arrêter une minute. Quelques instants après, il a recouvré le calme et la dignité qui lui sont habituels ; seulement, sa pâleur est extrême, ses manières sont plus froides et plus hautaines, sa parole est