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« Pardonnez-moi, ma mère, car j’en ai bien besoin, » dit Georges aussitôt qu’il peut parler.

Besoin de pardon ! mais elle ne lui en a jamais voulu, son testament en fait foi ; il y a bien des années qu’elle y a fait écrire que son Georges était toujours son fils bien-aimé. Et si elle fût morte sans le revoir, elle l’aurait béni à son dernier soupir en l’appelant son Georges bien-aimé.

« Mère, j’ai été un bien mauvais fils, et j’ai ma récompense ; j’y ai souvent pensé, surtout depuis quelque temps. Lorsque je vous ai quittée, je ne réfléchissais à rien, mère ; je suis parti comme un sans cœur, et me suis enrôlé comme un fou, en laissant croire que je ne me souciais de personne. »

Le sergent avait essuyé ses yeux et remis son mouchoir dans sa poche ; mais sa voix attendrie et sa parole entrecoupée de sanglots étouffés contrastaient singulièrement avec ses manières habituelles.

« Vous vous rappelez, ma mère, continua-t-il, je vous ai écrit pour vous apprendre que je m’étais engagé sous un autre nom, et que je partais pour les colonies ; arrivé là-bas, je fis le projet de vous récrire au bout d’un an, lorsque je serais dans une meilleure position ; le temps s’écoula, je remis encore, et d’année en année j’arrivai à me demander pourquoi je vous écrirais.

— Je n’y vois aucun mal, cher enfant ; et cependant quand ça n’aurait servi qu’à tranquilliser ta vieille mère qui t’aimait tant.

— Que Dieu me pardonne ! répond M. Georges en toussant fortement pour chasser l’émotion qui l’étrangle ; mais je n’avais rien de consolant à vous dire. Vous étiez estimée, respectée ; mon frère, dont par hasard j’avais vu le nom dans les journaux, s’était fait une position plus qu’honorable ; à quoi pouvait servir de vous rappeler un pauvre diable comme moi, un vagabond, qui n’était plus même ce qu’il avait été, qui avait perdu tous les avantages de sa jeunesse, et remplacé le peu de science qu’il avait jamais eu, par tout ce qui le rendait incapable de jamais rien faire de bon ? Je me disais combien vous aviez dû souffrir, combien vous aviez versé de larmes, et prié pour votre fils ; mais le plus difficile était passé, le temps avait adouci votre chagrin ; à quoi bon le renouveler ? j’avais tort, mais je croyais avoir raison ; vous m’aimiez toujours et vous m’auriez racheté ; mais comment revenir et vous regarder en face, moi qui n’avais pas même confiance en ma bonne volonté, qui me sentais paresseux, turbulent, désordonné, propre à rien, une fois que je n’étais plus sous les drapeaux ; non, non, me disais-je, ne leur sois pas à charge, comme on fait son lit, on se couche.