Page:Dickens - Bleak-House, tome 2.djvu/279

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Elle se traîne, les cheveux épars, et vient cacher sa figure dans les coussins qu’elle entasse pour étouffer ses cris ; elle se relève égarée, elle va et vient comme une folle, se rejette de nouveau la face contre terre, et se berce en gémissant. L’horreur qui s’est emparée d’elle est indicible ; eût-elle vraiment assassiné cet homme, elle ne souffrirait pas davantage.

Car elle le voit maintenant, quand elle se disait à elle-même : « Si cet homme pouvait mourir ! » elle appelait de ses vœux, sans s’en douter, l’heure où, de sa main glacée, il lancerait aux quatre points de l’horizon tout ce qu’il savait contre elle et le sèmerait en tous lieux ; elle le comprend, la mort de son ennemi, dont elle osa se réjouir, était la chute de la clef de voûte qui entraînait la ruine de l’édifice dont les débris devaient l’écraser.

Comment échapper autrement que par le suicide à cet implacable ennemi qui se lève du tombeau pour la poursuivre et l’atteindre ? Accablée de terreur et de honte, cette force qui la soutenait jadis est emportée par l’orage comme une feuille qui tourbillonne au vent ; pourchassée sans pitié, il faut bien qu’elle se sauve.

Elle écrit en toute hâte les lignes suivantes, qu’elle adresse à son mari, et qu’elle laisse sur sa table après les avoir cachetées :

« Si l’on me recherche pour ce meurtre dont on m’accuse, croyez bien que j’en suis complétement innocente ; mais je suis coupable de tout le reste ; il m’avait annoncé qu’il vous dirait ma faute, et m’en avait informée le soir même de sa mort. Je sortis quelques instants après qu’il m’eut quittée, sous prétexte de me promener dans le jardin, où j’allais quelquefois, mais en réalité pour le rejoindre et le prier de ne pas prolonger davantage mes tourments ; vous ne savez pas depuis combien de temps il me torturait de cette menace ; je voulais lui demander seulement d’être assez généreux pour en finir tout de suite.

« Sa maison était sombre et silencieuse. Je sonnai à deux reprises différentes ; personne ne me répondit, et je retournai chez moi.

« Je n’ai plus d’asile maintenant ; je ne vous imposerai pas plus longtemps ma présence : puissiez-vous, dans votre juste colère, oublier une femme indigne du dévouement que vous lui avez prodigué, et qui vous fuit en vous laissant ce dernier adieu ! »

Elle s’habille, se couvre d’un voile, se dépouille de son argent et de ses bijoux, prête l’oreille, descend l’escalier au moment où l’antichambre est déserte, ouvre la grande porte, qu’elle referme, et s’enfuit par un vent âpre et glacé.