Page:Dickens - Bleak-House, tome 2.djvu/329

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

J’arrivais donc assez triste ; et je me serais bien passée de la compagnie de M. Vholes que Richard amena précisément pour dîner avec nous. Bien que ce fût sans façon, Éva et son mari nous quittèrent un instant pour faire quelques préparatifs ; et M. Vholes profita de la circonstance pour entamer avec moi une conversation à voix basse. Il s’approcha de la fenêtre où je me trouvais assise, et jetant les yeux dans Symond’s-Inn :

« Pour quiconque n’est pas dans la procédure, c’est un endroit bien triste que celui-ci, me dit-il en salissant la vitre avec son gant noir, sous prétexte de la rendre plus claire.

— Il n’y a pas grand’chose à voir, répondis-je.

— Ni à entendre, miss Summerson ; parfois un orchestre ambulant s’égare jusque dans ces parages. Mais nous autres, gens de loi, nous ne sommes pas musiciens, et nous renvoyons bien vite les joueurs de vielle ou de tout autre instrument. J’espère que M. Jarndyce est aussi bien portant que ses amis peuvent le souhaiter ? »

Je le remerciai et répondis qu’il allait à merveille.

« Je n’ai pas le plaisir d’être du nombre de ses amis, répliqua M. Vholes ; je sais d’ailleurs qu’il ne voit pas d’un fort bon œil tous ceux qui appartiennent à la magistrature. Notre devoir, néanmoins, est de procéder avec franchise, quelle que soit l’opinion que l’on ait conçue à notre égard, je dirai même le préjugé ; car nous sommes victimes de bien des erreurs. Et comment trouvez-vous M. Carstone ?

— Mais, pas bien : il a l’air horriblement inquiet.

— C’est vrai, » dit M. Vholes qui se tenait derrière moi, avec sa longue figure habillée de noir, et touchait presque au plafond de cette chambre peu élevée, caressant les boutons enflammés qui ornaient son pâle visage, comme s’il les prenait pour un enjolivement, et s’exprimant d’une voix calme et intérieure, comme si l’émotion n’avait jamais eu de prise sur sa nature insensible.

« M. Woodcourt ne vient-il pas voir régulièrement M. Carstone ? reprit l’avoué.

— M. Woodcourt est son ami, répondis-je.

— Mais c’est comme médecin que je veux dire.

— La médecine est impuissante, quand c’est l’esprit qui souffre.

— Assurément, » répondit M. Vholes avec la même froideur.

Il me semblait que Richard s’éteignait peu à peu sous l’influence de cet homme impassible et décharné qui avait quelque chose du vampire.