Page:Dickens - Bleak-House, tome 2.djvu/335

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

il est entouré d’une lugubre auréole qui rayonnera toujours dans mon souvenir.

J’allais donc chaque matin chez Éva, et souvent j’y retournais dans la soirée. Au commencement j’y avais rencontré deux ou trois fois M. Skimpole, jouant négligemment du piano suivant son habitude et causant avec sa vivacité ordinaire. Non-seulement il était probable que cette liaison était onéreuse à Richard, mais encore il me semblait que l’insouciante gaieté de M. Skimpole avait quelque chose de douloureux et de blessant pour Éva, dont la vie était si profondément triste. Je m’aperçus bientôt que ma chère fille partageait mes sentiments à cet égard ; et je résolus, après y avoir mûrement réfléchi, de faire une visite au vieil enfant, et de tâcher de m’en expliquer avec lui. C’était mon affection pour Éva qui me donnait tant d’audace.

Je partis donc un matin pour Somers-Town, en compagnie de Charley.

Quand je fus près de la maison, j’eus envie de retourner sur mes pas ; car je sentais que c’était une folle entreprise que de vouloir raisonner avec M. Skimpole et que probablement j’éprouverais un échec. Cependant, puisque j’avais tant fait que d’en venir là, je voulus aller jusqu’au bout. Je frappai à la porte d’une main tremblante ; et je puis bien dire de ma main, car le marteau n’existait plus ; enfin, après de longs pourparlers avec une Irlandaise qui, au moment où je frappai, était dans la cour, brisant le couvercle d’un baquet pour en faire du feu, je parvins à pénétrer dans la maison.

M. Skimpole était dans sa chambre, étendu sur le divan ; il jouait de la flûte et fut enchanté de me voir. « Par qui voulez-vous être reçue ? me demanda-t-il. Laquelle préférez-vous de mes trois filles pour maîtresse des cérémonies ? Sera-ce la Beauté, l’Esprit ou le Sentiment ? à moins que vous ne désiriez les réunir pour en faire un bouquet. »

Je répondis, un peu troublée, que c’était à lui seul que je désirais parler, s’il voulait bien le permettre.

« Avec joie, » dit-il en approchant son fauteuil de celui où j’étais assise. « Ce n’est pas d’affaire, j’imagine, que vous avez à m’entretenir, miss Summerson ? » ajouta-t-il en souriant de la manière la plus séduisante.

— Pas précisément, répliquai-je ; néanmoins la chose est sérieuse et n’a rien d’agréable.

— N’en parlez pas alors, chère miss, reprit-il avec la plus franche gaieté. Pourquoi s’occuperait-on de ce qui est désagréa-