Page:Dickens - Bleak-House, tome 2.djvu/8

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

tout à coup, et m’avait regardée avec une singulière expression d’étonnement et de frayeur.

J’étais si évidemment la cause de son effroi, que je restai près de la porte.

«  J’veux pas aller au ceumetière, murmura-t-il, j’veux pas y aller, je l’veux pas que j’vous dis. »

— Ne faites pas attention, madame, me dit tout bas Jenny ; c’est la fièvre ; mais sa tête lui reviendra. Et se retournant vers le malade : Jo, dit-elle, qu’est-ce qui te prend, mon garçon ?

— J’sais bien pourquoi qu’elle vient, répondit le pauvre Jo.

— Qui ça qu’tu veux dire !

— C’te lady qui vient m’prendre pour aller au ceumetière ; mais j’veux pas y aller, je l’veux pas, que j’vous dis ; elle irait m’y faire enterrer. »

Il eut un redoublement de frisson, et, se replaçant contre le mur, il fit trembler la cabane.

«  Depuis ce matin, reprit Jenny avec douceur, il parle de cimetière, de belle dame et de souverain, sans qu’on puisse y rien comprendre. Allons, Jo, c’est milady ; qu’est-ce que tu as à la regarder comme ça ?

— Milady ! répliqua-t-il d’un air de doute en mettant son bras au-dessus de ses yeux brûlants pour mieux m’examiner. Milady ! elle ressemble pourtant ben à l’autre ; c’est pas l’chapeau ni la robe, mais c’est tout comme l’autre. »

Ma petite Charley, qui devait à ses malheurs une expérience prématurée, avait ôté son chapeau et son châle, et, prenant une chaise, y fit asseoir le pauvre Jo avec toutes les attentions d’une vieille garde-malade, si ce n’est que la vieille garde n’aurait pas eu sa figure enfantine, qui parut gagner la confiance du patient.

«  Dites-le-moi, vous, reprit-il en s’adressant à elle, c’te lady-là, c’est-i’ pas l’autre ? »

Charley lui fit un signe négatif en l’enveloppant avec soin des haillons qu’il portait, de manière qu’il pût avoir moins froid.

«  Alors, murmura-t-il, j’ s’pose que c’est pas elle.

— Je suis venue pour vous voir, lui dis-je, et pour essayer de vous faire un peu de bien. Qu’est-ce que vous éprouvez ?

— J’suis tout gelé, répondit-il d’une voix rauque, en promenant autour de moi ses yeux hagards ; et j’brûle tout de même ; j’suis comme dans le feu et dans la glace ; j’ai froid et pis j’brûle, et pis j’ai froid. Ma tête est gourde comme si je devenais fou ; et j’ai si soif ! pis, dans mes os, c’est qu’une souffrance.