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boîtes nombreuses, étiquetées de noms illustres, vit M. Tulkinghorn, quand il n’est pas silencieusement installé dans ces châteaux où les grands de la terre périssent d’ennui. Il est chez lui ce soir, tranquillement assis à sa table ; solitaire comme une huître de la vieille école que personne ne peut ouvrir.

Son cabinet a dans l’ombre un aspect analogue à celui qu’il offre lui-même : terne et d’un autre âge, il n’attire pas l’attention qu’il mériterait de fixer. De lourds fauteuils, au large dossier, en acajou massif et recouverts en crin ; de vieilles tables garnies de serge poudreuse, et les portraits gravés des plus hauts personnages du siècle précédent environnent le procureur. Un vieux tapis de Turquie, de couleur sombre, s’étend sous ses pieds ; et près de lui sont deux chandeliers d’argent, passés de mode, où brûlent deux bougies dont la lumière ne suffit pas à dissiper les ténèbres de cette vaste pièce. Les titres de ses livres se sont retirés et ont disparu dans l’épaisseur de la reliure ; tout ce qui peut avoir une serrure en a une ; mais pas une clef n’est visible. Quelques rares papiers sont épars sur sa table. Il a devant lui un manuscrit dont il ne s’occupe pas. Il aide à fixer l’indécision de sa pensée en changeant de place alternativement deux morceaux de cire à cacheter et un couvercle d’encrier ; tantôt c’est le couvercle qui se trouve au milieu, tantôt la cire rouge, et maintenant c’est la noire ; mais cet arrangement ne lui convient pas, et il en cherche un autre.

M. Tulkinghorn vit seul et n’a pas d’autre état-major qu’un homme entre deux âges, qu’on trouve toujours à son banc dans la grande salle, et qui est rarement accablé de besogne. Le genre d’affaires que traite M. Tulkinghorn est un genre tout à part, et il ne lui faut pas de clercs. Réservoir de nobles confidences, il n’est pas homme à se les laisser soutirer ; c’est de lui-même que ses clients ont besoin, et c’est lui seul qui s’occupe de tout ce qui les concerne. Il fait tirer les actes qui lui sont nécessaires par des avocats spéciaux du Temple, et d’après des instructions mystérieuses ; il charge le papetier de faire faire toutes ses copies, la dépense ne l’embarrassant jamais. Quant à l’homme entre deux âges qui est toujours à son banc, il n’en sait pas plus long sur les affaires du peerage qu’un balayeur d’Holborn.

La cire noire, la cire rouge, le couvercle de l’encrier, celui d’une autre écritoire et la petite poudrière sont enfin arrivés à une combinaison qui paraît définitive.

« Vous au milieu, vous à gauche, vous à droite… »

Toute indécision a cessé ou bien ne cessera jamais. M. Tulkinghorn se lève, assujettit ses lunettes, prend son chapeau, met