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nant trois ou quatre cents pas, est affreusement ennuyée de marcher, et reprend sa place dans la voiture.

Le bruit des roues et des chevaux continue pendant la plus grande partie des deux journées suivantes, accompagné de plus ou moins de grelots, de coups de fouet et de mouvements des centaures ; l’excessive politesse du baronnet pour milady, et réciproquement, fait le sujet de l’admiration générale dans tous les hôtels où ils s’arrêtent.

« Quoique milord soit un peu âgé pour milady, et qu’il pût être son père, fait observer l’hôtesse du Singe doré, on n’a besoin que d’un coup d’œil pour voir combien ils s’aiment. »

Milord, découvrant ses cheveux blancs et le chapeau à la main, aide avec tant de respect milady à descendre de voiture ; et milady répond à la politesse de milord en inclinant si gracieusement sa jolie tête et en abandonnant avec un si doux sourire ses doigts effilés à la main qui lui est offerte, que c’est vraiment ravissant.

La mer n’a pas du tout d’égard pour les grands hommes et les traite absolument comme le fretin ; elle est en général fort mauvaise pour sir Leicester, qu’elle parsème de taches vertes comme un fromage de Roquefort, et dont elle ébranle le système aristocratique d’une manière effrayante. Néanmoins sir Dedlock triomphe de cette opposition radicale et recouvre sa dignité dès qu’il met pied à terre ; il part immédiatement pour Londres avec milady, ne s’y arrête qu’une seule nuit, et se dirige vers Chesney-Wold.

Par ce même soleil clair et froid, plus froid encore à mesure que le jour décline, et par ce même vent de bise plus aigu et plus âpre à mesure que l’ombre s’épaissit dans les bois, milady et milord traversent leur parc du Lincolnshire. Les corneilles, regagnant leur retraite au sommet des vieux arbres, semblent se demander quelle est cette voiture qui arrive, et discuter vivement cette question importante. Les unes prétendent que sir Leicester et milady sont de retour ; les autres se joignent aux mécontents, contredisent le fait et soutiennent leur opinion mordicus ; la question paraît enfin jugée, mais l’instant d’après le débat recommence avec une nouvelle aigreur, ranimé par un vieil entêté, qui persiste à émettre un croassement contradictoire. Et laissant les corneilles croasser à leur aise, la calèche roule vers le château, où de grands feux éclairent quelques-unes des fenêtres, sans toutefois que leur nombre soit assez considérable pour animer la sombre masse qui se découpe sur le ciel et pour lui donner l’air d’une maison habitée, ce que fera bientôt l’élite brillante qui peuplera ces lieux.