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de sa femme, je faisais remarquer à M. Jarndyce et à miss Summerson que vous aviez eu deux maris avant moi, deux hommes fort distingués ; ce qu’ils trouvent, comme tout le monde, très-difficile à croire.

— J’avais à peine vingt ans, dit alors mistress Badger, quand j’épousai le capitaine Swosser de la marine royale ; je l’ai accompagné dans la Méditerranée et suis devenue moi-même un véritable marin. Le jour du douzième anniversaire de mon premier mariage, je devins la femme du professeur Dingo.

— D’une réputation européenne, ajouta le docteur.

— Et lorsque M. Badger et moi nous nous mariâmes, ce fut encore le même jour de l’année, poursuivit-elle ; car je m’étais attachée à cet anniversaire.

— Ainsi, mistress Badger, reprit le docteur pour résumer les faits, a épousé trois maris, parmi lesquels deux hommes éminemment distingués, et tous les trois le 21 mars à onze heures du matin. »

Nous exprimâmes toute notre admiration.

«  Si je ne craignais de blesser la modestie de M. Badger, ajouta mon tuteur, je corrigerais sa phrase et je dirais : trois hommes fort distingués.

— C’est ce que je lui dis toujours, répliqua mistress Badger.

— Et moi, chère amie, qu’est-ce que je réponds à cela ? reprit le troisième mari ; je réponds que sans vouloir, par une affectation de mauvais goût, déprécier la distinction que j’ai acquise dans mon art (et dont notre ami M. Carstone aura bientôt l’occasion de juger), je ne suis pas assez faible d’esprit, assez déraisonnable, ajouta-t-il en s’adressant à nous, pour mettre ma réputation au niveau de celle qu’ont acquise des hommes d’un premier mérite, comme l’ont été le capitaine Swosser et le professeur Dingo. Peut-être ne sera-t-il pas sans intérêt pour vous, monsieur Jarndyce, poursuivit le docteur en ouvrant la porte du salon voisin, de jeter un coup d’œil sur le portrait du capitaine Swosser, qui se fit peindre au retour d’une station prolongée sur la côte africaine, pendant laquelle il avait eu la fièvre ; ce qui fait que mistress Badger trouve cette peinture un peu jaune ; mais c’est néanmoins une fort belle tête.

— Une très-belle tête, répondîmes-nous, faisant à écho à ces paroles.

—Quand je regarde ce noble visage, reprit le docteur Badger, je sens que j’aurais voulu connaître l’homme auquel il appartenait. Il révèle d’une manière évidente le mérite remarquable du capitaine Swosser. De l’autre côté, c’est le professeur Dingo ;