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Page:Dickens - Bleak-House, tome premier.pdf/184

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« Mais il faut, continua la vieille dame, que le père soit mis élégamment, par respect pour sa tournure ; vieux fat ! il m’agace tellement que je voudrais le voir enfermer.

— Est-ce qu’il donne des leçons de maintien ? demandai-je à ma voisine.

— Lui ? répliqua la vieille dame, il n’a jamais rien donné. » J’insinuai que l’escrime avait peut-être…

«  Non, répondit-elle encore ; je ne crois pas même qu’il ait su faire des armes. »

Je témoignai ma surprise et ma curiosité ; la vieille dame, s’animant de plus en plus contre M. Turveydrop, me raconta qu’il avait épousé une petite maîtresse de danse, faible et douce créature, ayant pas mal d’élèves ; et, comme il n’avait jamais fait autre chose que d’étaler ses grâces, il fit travailler la pauvre femme, ou du moins souffrit qu’elle travaillât jusqu’à extinction de chaleur vitale, pour subvenir aux dépenses que nécessitait sa position dans le monde. Ne fallait-il pas, pour exhiber sa tournure devant les meilleurs juges, et en même temps pour avoir toujours sous les yeux les meilleurs modèles du genre, ne fallait-il pas qu’il fréquentât les endroits les plus recherchés du public fashionable ; qu’il allât à Brighton et ailleurs, et qu’il vécût sans rien faire dans de magnifiques habits ! C’était pour lui permettre de mener cette vie fastueuse que la petite maîtresse de danse avait travaillé sans relâche, et travaillerait encore si ses forces avaient duré jusqu’à ce jour ; car le plus curieux de l’histoire, c’est qu’en dépit de l’égoïsme de cet homme, sa pauvre femme, subjuguée par tant de grâces, l’avait pris au sérieux jusqu’au dernier soupir, et avait trouvé à son lit de mort les expressions les plus touchantes, pour le confier à son fils comme un être dont il ne serait jamais assez fier, et qui avait des droits imprescriptibles à son dévouement et à sa reconnaissance. Le fils avait hérité des sentiments de sa mère, avait grandi dans la foi où il vivait encore, et travaillait douze heures par jour au bénéfice de son père, que ses humbles regards contemplaient avec amour sur le piédestal où trônait le vieux gentleman.

«  Se donne-t-il des airs ! continua ma voisine en regardant de travers M. Turveydrop, qui mettait ses gants trop étroits. Il est persuadé qu’il appartient à l’aristocratie, et vous croiriez, à l’entendre, qu’il est le meilleur de tous les pères. Oh ! si je pouvais le mordre ! » ajouta-t-elle avec une véhémence dont je ne pus m’empêcher de sourire malgré la tristesse que m’avait causée le récit qu’elle venait de me faire. Il était impossible de n’être pas