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— Un vent affreux ! murmura mon tuteur.

— Ils seront mis en liberté le jour où mon savant collègue prononcera son jugement, continua M. Krook en faisant une grimace ; et alors, ajouta-t-il plus bas, si jamais cela arrive, ils tomberont sous la griffe de quelque autre oiseau qu’on n’a pas mis en cage.

— Si le vent fut jamais de l’est, dit mon tuteur en cherchant du regard une girouette, c’est assurément aujourd’hui. »

Il nous fut très-difficile de quitter la maison ; non pas parce que miss Flite insista pour nous retenir : elle était aussi raisonnable que possible toutes les fois qu’il s’agissait de respecter la volonté des autres, mais M. Krook ne pouvait se détacher de mon tuteur. On eût dit qu’une chaîne invisible l’unissait étroitement à M. Jarndyce, qu’il suivait pas à pas, et qui, bon gré, mal gré, dut traverser la chancellerie du vieux marchand et subir l’exhibition du singulier mélange qui s’y trouvait contenu. M. Krook prolongeait évidemment cette entrevue avec l’intention d’entamer un sujet qu’il n’osait aborder ; jamais la crainte et le désir, jamais l’indécision n’a été plus clairement exprimée que par la physionomie et les manières du vieillard. M. Krook ne quittait pas mon tuteur, et l’observait de l’air inquiet et rusé d’un vieux renard blanc ; se mettant en face de lui dès que nous nous arrêtions, et passant et repassant sa main noueuse sur ses lèvres ouvertes avec le sentiment de l’importance de ce qu’il avait à dire, relevant les yeux en fronçant les sourcils, et cherchant à lire dans tous les traits du visage de son visiteur, sans parvenir à surmonter l’embarras ou la défiance qui l’empêchait de parler.

Après avoir parcouru toute la maison, toujours suivis par le chat, et regardé l’étrange assemblage qui formait le commerce de M. Krook, nous entrâmes dans une arrière-boutique, où plusieurs alphabets imprimés en différents caractères étaient collés à la muraille, et où nous vîmes, sur un tonneau dressé, une bouteille d’encre, quelques vieux trognons de plumes et quelques affiches de théâtre déchirées et crasseuses.

«  Que faites-vous dans cette pièce ? lui demanda mon tuteur.

— J’y essaye d’apprendre à lire et à écrire tout seul, répondit M. Krook.

— Et réussissez-vous ?

— Assez mal, répliqua le vieillard d’un air mécontent. C’est difficile, à mon âge.

— Vous auriez bien moins de peine si quelqu’un vous montrait ? reprit M. Jarndyce.