Page:Dickens - Bleak-House, tome premier.pdf/211

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pli un paragraphe dans les journaux et un lit ou deux à l’hôpital voisin. La brèche est restée, les décombres fournissent des logements qui ne sont pas dédaignés ; et, comme plusieurs autres maisons chancellent, on peut s’attendre à ce que le premier écroulement qui aura lieu dans Tom-all-alone’s fera un bruit et une poussière effroyables.

Il va sans dire que cette propriété relève de la Cour de chancellerie ; ce serait faire injure au discernement d’un homme ayant la moitié d’un œil, que de supposer qu’il ne le voit pas bien sans qu’il soit besoin de le lui apprendre. Le nom de Tom a-t-il été donné à cette rue parce qu’elle offre une image saisissante du premier plaignant de l’affaire Jarndyce, dont elle rappelle la ruine et la fin désastreuse ? Le pauvre Tom y a-t-il vécu tout seul[1], jusqu’à l’époque où d’autres misérables vinrent s’y établir ; ou bien ce nom traditionnel signifie-t-il que c’est un endroit perdu, isolé de tout ce qui est honnête, et que l’espérance a déserté ? Peu de personnes pourraient le dire ; et certainement Jo l’ignore, « car je n’sais rin, » dit-il.

Ce doit être une condition étrange que celle de Jo ; une singulière chose que de traîner dans une ville, sans rien comprendre à ces caractères mystérieux qui abondent au coin des rues, sur les boutiques, sur les portes, sur les fenêtres ; que de rencontrer partout des gens qui lisent et qui écrivent, des facteurs qui distribuent des lettres, et de n’avoir pas la moindre idée de ce langage en face duquel vous restez sourd et aveugle ; ce doit être une énigme embarrassante que de voir le dimanche tous les gens comme il faut se rendre à l’église avec un livre à la main, que de se demander ce qu’il peut y avoir dans ce livre (car il est possible que Jo ait des heures où il pense) et de se dire : « Comment se fait-il que cela ne signifie rien pour moi, tandis que cela signifie tout pour les autres ? » N’est-ce pas un sujet d’étonnement perpétuel que d’être secoué, poussé continuellement, de ne pouvoir s’arrêter nulle part sans qu’on vous dise de passer votre chemin, et de sentir qu’en effet on n’a aucun motif d’être là plutôt qu’ailleurs ; qu’on n’a d’affaires nulle part, qu’on existe pourtant d’une façon ou d’une autre, et qu’on est arrivé jusqu’à tel âge sans que personne vous ait jamais regardé ? Ce doit être une chose bizarre, non-seulement de s’entendre dire qu’on ne compte pas pour une créature humaine, quand par exemple on offre son témoignage, mais surtout de sentir que c’est vrai, en pensant à la manière dont on vit ; de voir passer

  1. All alone, tout seul.